AG35 - Usages et réappropriations de la laïcité dans les mondes éducatifs français et libanais

AG35 - Usages et réappropriations de la laïcité dans les mondes éducatifs français et libanais FR

En France comme dans plusieurs pays du Moyen-Orient, Liban en tête, la laïcité apparaît comme une notion controversée, objet de luttes politiques et sociales. L'attention portée à ces controverses, notamment relatives à la place de l'Islam en France ou à une déconfessionnalisation de la vie politique et civile libanaise, fait courir le risque de délaisser une analyse des pratiques dont elle fait l'objet. Ainsi, cet atelier sera attentif à interroger les usages diversifiés de la laïcité et les manières dont les acteurs de l’éducation se réapproprient cette notion mouvante, donnant in fine à voir une “laïcité au concret”.

Les mondes éducatifs, espaces majeurs de socialisation, constituent un point d'observation privilégié pour analyser les recompositions des relations entre pouvoirs publics, groupes d'intérêts, acteurs de la société civile et cultes présents sur les territoires étudiés. 

En mettant en dialogue différents espaces scolaires -publics et privés, français et libanais-, il s’agira d’appréhender la laïcité, non pour la théoriser en soi, mais pour s'intéresser aux investissements variés dont elle fait l'objet. Tout en refusant de la penser comme notion importée ou imposée aux acteur.rice.s, nous considérerons, dans une approche constructiviste, les marges et l’indéfini qui entourent ses usages en contextes éducatifs, l'évolution de ces derniers mais aussi des représentations et multiples discours qui participent à les façonner.

Responsable : Akhésa Moummi, LIER-FYT, Césor & IFPO, France

Depuis une vingtaine d’années des établissements privés musulmans de niveau primaire et secondaire viennent compléter l’offre scolaire existant en France. Ces établissements s’inscrivent comme réponse aux controverses autour de la place de l’islam et des musulmans à l’école publique. Leur apparition vient dans le même temps questionner les dispositifs existant depuis les années 1880 pour garantir la liberté scolaire. 

À partir d’un travail d’ethnographie et d’entretiens auprès d’écoles musulmanes, des académies et au ministère de l’Éducation nationale nous proposons d’analyser ce que la laïcité fait aux acteurs de l’enseignement musulman.

D’un côté, les établissements se présentent comme les porteurs de la « vraie laïcité » en permettant à leurs enseignantes et à certaines de leurs élèves de porter un foulard. Ces écoles souhaitent dans le même temps bénéficier de l’aspect « partenarial » de la laïcité en passant sous contrat d’association (loi Debré) pour que leurs enseignant.e.s soient rémunéré.e.s par l’État. De l’autre, les pouvoirs publics s’appuient sur une conception de la laïcité de plus en plus marquée par le souci sécuritaire pour contrôler l’ouverture, le fonctionnement et éventuellement refuser le contrat à ces établissements. 

Au croisement entre sociologie des institutions et sociologie de l’action publique, cette communication est issue d’une enquête ethnographique dans une académie du sud de la France, complétée par des entretiens au ministère de l’Éducation nationale. Elle propose de considérer la mise en œuvre des récentes politiques françaises de laïcité scolaire, en portant attention à la manière dont des acteurs scolaires, situés à différentes échelles d’action publique, se saisissent d’une catégorie nouvellement présente dans les dispositifs éducatifs : les « atteintes à la laïcité ». L’instabilité définitionnelle de ce qui constitue une « atteinte » ouvre la voie à des acceptions diverses, propices à des investissements très hétérogènes de la politique étudiée. Au local comme au niveau central, le glissement vers la catégorie « atteintes à la laïcité » et les réappropriations qu’en font les personnels scolaires donnent à voir la complexe conjonction des logiques politico-médiatiques et administratives. La politique de remontée des « atteintes à la laïcité » est par ailleurs investie de manière stratégique par des acteurs désireux de se faire une place dans l’institution ou encore d'interpeller la hiérarchie de l’Education nationale sur des problématiques distinctes de la question laïque.

« l’hypothèse laïque » au Liban : questionner les mondes scolaires libanais entre confessionnalisme et « laïcité relative »

Cette communication se propose de porter le regard sur un espace atypique des mondes scolaires libanais : les établissements privés, homologués par l’Agence de l’Enseignement Français à l’étranger (AEFE) et membres du réseau de la Mission Laïque Française. Ces espaces scolaires se distinguent du paysage scolaire de ce pays par un système de double-diplomation, qui repose sur la mise en œuvre des programmes scolaires français dans des enceintes non-françaises. C’est au regard des pratiques de ces établissements, de leurs usages et adaptations de la laïcité que sera questionnée la mise en œuvre possible d’une lecture libanaise de la laïcité, une “hypothèse laïque”, où l’étude et la mise en œuvre d’une laïcité scolaire française conduiraient à des transformations sensibles du rapport à la citoyenneté libanaise. Au prisme des débats laïques autour de la déconfessionnalisation civile et politique de ce pays, il s’agira de considérer les usages divers qui sont faits de ce concept et ses formulations dans des enceintes scolaires libanaises atypiques. In fine, j’interrogerai donc l’existence, dans les mondes scolaires libanais, d’une “laïcité relative”, c’est-à-dire d’un espace sensible de relations interindividuelles qui dépassent les appartenances confessionnelles et qui se diffusent dans cette société.