Responsable: >Zélie Lepinay & Héloïse Mercier

A34 - Réécritures de l’histoire et mémoires du passé dans les sociétés islamiques : perspectives depuis le Maghreb, l’Éthiopie, l’Anatolie et la Syrie

Date : 2022-09-22 | 11:00:00-13:00:00

Évènement : Congrès INSANIYYAT

Programme détaillé : cliquer ci-contre
Catégorie :
A
Lieu :
ISAMM
Salle :
C4
Responsable : Zélie Lepinay & Héloïse Mercier
Modérateur·trice :
Discutant·e :
Les intervenant·e·s :
Mercier Héloïse Paris 1 Panthéon Sorbonne
Lepinay Zélie Paris 1 Panthéon Sorbonne
Borrut Antoine University of Maryland
Parrot Yoan Aix-Marseille Université

A34 - Réécritures de l’histoire et mémoires du passé dans les sociétés islamiques : perspectives depuis le Maghreb, l’Éthiopie, l’Anatolie et la Syrie FR

Salle: C4
Responsables: Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France et Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France
Discutant : Antoine Borrut, University of Maryland, États-Unis

  • Antoine Borrut, University of Maryland (Etats-Unis), Crises du temps et réécritures de l’histoire dans les premiers siècles de l’Islam
  • Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Écrire et réécrire l’histoire des ibadites au Maghreb central (à distance)
  • Yoan Parrot, Aix-Marseille Université, IREMAM, (France), Transcription et réécriture d’une mémoire nomade au moment d’une crise de légitimité: la mise par écrit du Ketāb-e Dede Qorqūt sous les Aq Qoyunlu (deuxième moitié du XVe siècle)
  • Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Le Fatḥ madīnat Harar (Éthiopie orientale, XXe siècle) et l’émergence d’un nouveau « programme de vérité » historiographique

A34 - Réécritures de l’histoire et mémoires du passé dans les sociétés islamiques : perspectives depuis le Maghreb, l’Éthiopie, l’Anatolie et la Syrie FR

Cet atelier a pour objectif de faire se rencontrer des chercheur‧se‧s travaillant sur différentes périodes et sur différentes sociétés islamiques mais s’intéressant tous‧te‧s aux phénomènes de réécritures de l’histoire.
Les recherches sur cette question ne sont pas nouvelles, mais elles se sont concentrées sur certaines régions (Syrie, Égypte, régions persanophones, al-Andalus...) et il s’agit ici d’éclairer des processus similaires au sein d’espaces moins analysés jusqu’ici et de favoriser la comparaison avec des régions mieux connues (Syrie).
Il s’agira de comparer nos sources, nos méthodes et nos outils de recherche, pour tenter collectivement de mieux appréhender les questions suivantes : comment faire de l’histoire à partir de discours produits parfois plusieurs siècles après les périodes qu’ils évoquent ? Comment démêler les fils des réécritures successives, distinguer différentes strates et retrouver des vestiges ou traces d’historiographies antérieures ?
Au-delà de ces réflexions désormais familières des spécialistes de l’histoire islamique, comment pouvons-nous interpréter les moments de relecture du passé et ceux dans lesquels une nouvelle interprétation du passé se fige ? Dans quels contextes se produisent ces réécritures et quelles en sont les raisons ? En lien avec le thème du Forum Insaniyyat, « CriseS », nous explorerons la possibilité que les moments de crise engendrent des bouleversements épistémiques et de nouveaux rapports au passé, d’où peuvent surgir de nouvelles historiographies.

Responsables: Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France et Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France
Discutant : Antoine Borrut, University of Maryland, États-Unis

  • Antoine Borrut, University of Maryland (Etats-Unis), Crises du temps et réécritures de l’histoire dans les premiers siècles de l’Islam
Les spécialistes des débuts de l’islam se heurtent à l’absence de sources narratives arabo-musulmanes contemporaines des premiers siècles de l’islam. Ce constat a généré d’abondants débats historiographiques mais il n’existe pas à ce jour d’explication satisfaisante pour rendre compte de cette situation historiographique paradoxale. À partir d’un corpus peu étudié d’histoires astrologiques, je me propose de mettre en lumière l’essor puis la disparition d’un mode spécifique d’écriture de l’histoire, qui connait un succès considérable jusqu’au tournant des ixe et xe siècles. Ces histoires astrologiques, à l’instar des apocalypses historiques notamment, sont écrites au futur ou, plus précisément, obéissent à la logique d’un régime d’historicité tourné vers un avenir eschatologique. La période entre 850 et 950 est marquée par un profond changement en lien avec ces attentes eschatologiques : longtemps considérées comme imminentes, elles sont repoussées dans un futur lointain. Je suggère d’appréhender les réécritures qui s’opèrent alors dans le contexte d’un changement de régime d’historicité provoqué par cet ajournement des attentes messianiques.

  • Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Écrire et réécrire l’histoire des ibadites au Maghreb central 
Je propose d’examiner à nouveaux frais l’écriture de l’histoire des débuts de l’Islam au Maghreb central, et plus particulièrement l’histoire ibadite de cette région méconnue de l’Occident islamique. L’émergence du nouveau monde social que constitue l’Empire islamique entraîne un bouleversement multiforme au Maghreb central. Et davantage que la conquête, la fin de la période omeyyade, au milieu du viiie siècle, s’y accompagne d’une crise majeure. Comme pour les autres régions de l’empire, cette crise est-elle l’occasion de réécrire l’histoire au Maghreb central et celle de ses habitants ? Une des particularités de la région est d’avoir été assez tôt islamisée par l’intermédiaire des ibadites, qui ont formé au viiie siècle un État indépendant des Abbassides. Quels discours ont produit les savants ibadites sur leur passé et sur l’histoire du Maghreb central ? Des auteurs, tel que Ibn Sallām al-Ibāḍī au ixe siècle, développent le thème des faḍā’il al-Barbar (louanges des Berbères). Ces récits, concurrents des discours péjoratifs construits depuis le centre de l’empire, mais forgés de la même manière que ceux sur les mérites des Arabes, conduisent à rattacher les Berbères à l’histoire universelle islamique, tout en proposant une déclinaison singulière et alternative. Cyrille Aillet, qui a bien étudié ces sources ibadites, propose l’analyse sous le point de vue d’un « conflit de mémoire » (Aillet, 2021). D’où le questionnement que nous proposons ici sur la mémoire que la communauté ibadite garde d’elle-même, de son passé. Cette mémoire constitue-t-elle une réécriture de l’histoire régionale ?

  • Yoan Parrot, Aix-Marseille Université, IREMAM, (France), Transcription et réécriture d’une mémoire nomade au moment d’une crise de légitimité: la mise par écrit du Ketāb-e Dede Qorqūt sous les Aq Qoyunlu (deuxième moitié du XVe siècle)
Au xve siècle, une longue tradition orale circulant parmi les Turkmènes oghuz, nomades turcophones installés en Anatolie à partir du xie siècle, est transcrite. Ils sont les héros du Ketāb-e Dede Qorqūt, mis par écrit à un moment où leurs descendants de la confédération nomade des Aq Qoyunlu créent un vaste empire entre l’Anatolie et l’Iran. Il s’agira de s’interroger sur le processus de mise à l’écrit de cette épopée en lien avec les crises de légitimité que connaissent les pouvoirs musulmans au xve siècle. Les Aq Qoyunlu promeuvent pour y remédier un modèle de souveraineté basé sur le prestige de l’organisation politique et sociale des Oghuz. De fait, le Ketāb-e Dede Qorqūt constitue la transcription d’une mémoire nomade mythifiée marquée par des évolutions au fil du temps. Mais il semble aussi avoir influencé la réécriture et l’appropriation de l’histoire des Oghuz par des savants musulmans sédentaires pour légitimer des souverains nomades. Cette épopée constituerait ainsi une forme d’achèvement du processus de réécriture et de synthétisation de la mémoire oghuz en fixant un récit ordonné autour de valeurs légitimant le gouvernement des Turkmènes.

  • Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Le Fatḥ madīnat Harar (Éthiopie orientale, XXe siècle) et l’émergence d’un nouveau « programme de vérité » historiographique
Le Fatḥ madīnat Harar est un texte écrit par un certain Yaḥyā b. Naṣrallāh à Harar, dans les années 1930-1940. Il raconte un passé pseudo-médiéval de la ville de Harar – l’arrivée en 1216 d’Abādir ‘Umar al-Riḍā, accompagné de 405 autres saints venus de la Mecque, un pacte politique entre les saints et les populations de la région, puis leurs combats contre des « infidèles », notamment italiens et portugais. Dans cette communication, je montrerai que le Fatḥ madīnat Harar compile plusieurs textes qui circulaient jusque-là oralement ou par écrit. Il puise dans un répertoire de légendes et de récits hagiographiques et les historicise, en les transformant en un récit cohérent et en les datant. Ces ambitions historiographiques sont détaillées par l’auteur dans l’introduction de ce texte, sur laquelle je m’attarderai. Son analyse permet de comprendre que Yaḥyā b. Naṣrallāh s’inscrit dans un « programme de vérité » (P. Veyne) en rupture avec ce qui existait jusque-là concernant les récits sur le passé à Harar. Dès lors, il faut s’interroger sur les raisons de ce basculement historiographique et épistémique, qui advient alors qu’Harar est occupée par l’Italie fasciste (1936-1941). Cela permettra de se pencher sur ce que peut être l’expérience de l’écriture de l’histoire en temps de crise.

Rewriting history and memories of the past in Islamic societies: perspectives from the Maghreb, Ethiopia, Anatolia and Syria

This workshop aims to bring together researchers‧se‧s working on different periods and on different Islamic societies but all of them interested‧te‧s in the phenomena of rewriting history.
Research on this issue is not new, but it has focused on certain regions (Syria, Egypt, Persian-speaking regions, al-Andalus...) and the aim here is to shed light on similar processes within spaces that have been less analyzed so far and to foster comparison with better known regions (Syria).
The aim is to compare our sources, our methods and our research tools, in order to collectively try to better understand the following questions: how can we make history from discourses produced sometimes several centuries after the periods they evoke? How can we untangle the threads of successive rewritings, distinguish different strata and find vestiges or traces of previous historiographies?
Beyond these reflections, which are now familiar to specialists in Islamic history, how can we interpret the moments of rereading of the past and those in which a new interpretation of the past becomes fixed? In what contexts do these rewritings occur and what are the reasons for them? In connection with the theme of the Insaniyyat Forum, "Crises", we will explore the possibility that moments of crisis generate epistemic upheavals and new relationships to the past, from which new historiographies may emerge.

Persons in charge: Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France et Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, France
Discussant : Antoine Borrut, University of Maryland, États-Unis

  • Antoine Borrut, University of Maryland (Etats-Unis), Crises du temps et réécritures de l’histoire dans les premiers siècles de l’Islam

Crises of time and rewritings of history in the first centuries of Islam
Specialists of early Islam like to lament the dearth of Arab-Muslim narrative sources from the first centuries of Islam. This observation has generated abundant historiographical debates but there is still no satisfactory explanation to account for this paradoxical historiographical situation. Looking at an understudied corpus of astrological histories, I propose to shed light on the rise and subsequent disappearance of a specific mode of history writing, which enjoyed considerable success until the turn of the ninth and tenth centuries CE. These astrological histories, like historical apocalypses for instance, are written in the future tense. More aptly, they follow the logic of a specific regime of historicity focused towards a closed eschatological future. The period between 850 and 950 CE is marked by a profound change in connection with these eschatological expectations: long considered imminent, they are pushed back into a remote future. I suggest that the formidable movement of rewriting that took place in the ninth and tenth centuries CE was prompted by a change of regime of historicity linked to this postponement of messianic expectations.

  • Zélie Lepinay, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Écrire et réécrire l’histoire des ibadites au Maghreb central 
Writing and Rewriting the History of the Ibadites in Central Maghreb
I propose to take a fresh look at the writing of early Islamic history in Central Maghreb, and more specifically at the Ibadite history of this little-known region of the Islamic West. The emergence of the new social world that constitutes the Islamic Empire leads to multiform upheavals in Central Maghreb. More than the conquest, the end of the Umayyad period, in the middle of the eighth century, is accompanied by a major crisis. As for the other regions of the empire, is this crisis an opportunity to rewrite history in Central Maghreb and that of its inhabitants? One of the particularities of the region is that it is Islamized quite early on through the Ibāḍīs, who form a state independent of the Abbasids in the eighth century. What discourses do the Ibāḍī scholars produce on their past and on the history of Central Maghreb? Authors, such as Ibn Sallām al-Ibāḍī in the ninth century, develop the theme of the faḍā’il al-Barbar (praises of the Berbers). These narratives, competing with the pejorative discourses constructed from the center of the empire, but forged in the same way as those on the merits of the Arabs, lead to the attachment of the Berbers to Islamic universal history, while offering a singular and alternative variation. Cyrille Aillet, who studied these Ibāḍī sources, suggests an analysis from the point of view of a “conflict of memory” (Aillet, 2021). Hence the questioning that we propose here on the memory that the Ibāḍī community keeps of itself and of its past: does this memory constitute a rewriting of regional history?

  • Yoan Parrot, Aix-Marseille Université, IREMAM, (France), Transcription et réécriture d’une mémoire nomade au moment d’une crise de légitimité: la mise par écrit du Ketāb-e Dede Qorqūt sous les Aq Qoyunlu (deuxième moitié du XVe siècle)
Transcription and rewriting of a nomadic memory during a crisis of legitimacy: the writing down of Ketāb-e Dede Qorqūt under the Aq Qoyunlu (second half of the 15th century)
In the 15th century began the transcription of an oral tradition circulating among the Oghuz Turkmen, Turkic-speaking nomads settled in Anatolia since the 11th century. They are the heroes of Ketāb-e Dede Qorqūt, which was put into writing when the heirs of the Aq Qoyunlu – a nomad confederation – created a vast empire between Anatolia and Iran. We will examine how the process of writing down of this epic was related to the crisis of legitimacy which took place in the Islamic world during the 15th century. In order to solve this question, the Aq Qoyunlu promoted a new rule model based on the prestige of the social and political Oghuz organisation. In fact, the Ketāb-e Dede Qorqūt is the transcription of a mythologized nomad memory which has evolved over time. But it also seems to have influenced the rewriting and the appropriation of the Oghuz history by Muslims sedentary scholars to legitimize nomad rulers. This epic would thereby be a completion of the rewriting process and the synthesizing of the Oghuz memory which fixed the narrative around values legitimizing the Turkmens’ rule. 

  • Héloïse Mercier, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8167 Orient & Méditerranée, (France), Le Fatḥ madīnat Harar (Éthiopie orientale, XXe siècle) et l’émergence d’un nouveau « programme de vérité » historiographique
The Fatḥ madīnat Harar (Eastern Ethiopia, 20th century) and the emergence of a new historiographical “programme of truth”
The Fatḥ madīnat Harar is a text written by Yaḥyā b. Naṣrallāh in Harar in the 1930s-1940s. It recounts a pseudo-medieval past for the city of Harar – the coming of Abādir ‘Umar al-Riḍā in 1216, accompanied by 405 other saints from Mecca, followed by a political pact between the saints and the people of the region, and their battles against “infidels”, especially Italians and Portuguese. In this paper, I will show that the Fatḥ madīnat Harar compiles several texts that were previously circulating orally or in writing. It draws from a repertoire of legends and hagiographic narratives and historicises them, by transforming them into a coherent narrative and by dating them. These historiographical ambitions are detailed by the author in the introduction of his text, on which I will dwell. Its analysis will allow us to understand that Yaḥyā b. Naṣrallāh develops a “programme of truth” (P. Veyne) at odds with the way scholars of Harar had written the past so far. I will question the reasons for this historiographical and epistemic shift, which occurred while Harar was occupied by Fascist Italy (1936-1941). This will allow me to examine what the experience of writing history in times of crisis can be.

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