AG27 - Indonésie : les ressorts sociologiques et intellectuels d’un « islam de Progrès »

AG27 - Indonésie : les ressorts sociologiques et intellectuels d’un « islam de Progrès » FR

Malgré l’indéniable avancée d’un conservatisme religieux favorisant, à la marge, des expressions radicales de l’islam, l’Indonésie demeure sans doute le pays du monde musulman au sein duquel l’expression religieuse est la plus libre. Face à des courants réactionnaires ayant su profiter de l’instrumentalisation politique du religieux, un « Islam de progrès » (Islam berkemajuan), terme préféré dans l’Archipel à ceux, piégés, de « libéral » ou de « modéré » s’est structuré, depuis un demi-siècle, autour de deux pôles principaux : les universités islamiques d’une part, diverses organisations d’autre part (Nahdlatul Ulama, Muhammadiyah et un certain nombre de mouvements et de réseaux plus ou moins formels). Les innovations théologiques et sociétales portées par cet « Islam de progrès » ont une histoire longue, née de la combinaison de plusieurs facteurs (richesse du substrat religieux local, place de la femme, cohabitation longue avec d’autres confessions, diversité des influences étrangères,). Ce sont ces divers ressorts que notre atelier entend interroger, afin de documenter le particularisme indonésien et de permettre de mieux le situer à l’échelle du monde musulman.

Responsable : Kotele Samia, ENS de Lyon, Institut d’Asie Oriental, France

Depuis le début du XXe siècle, le réformisme musulman a trouvé en Indonésie un terreau favorable. Le développement du hadj, puis les séjours dans les universités occidentales, ont permis aux intellectuels musulmans d’être au contact de nouvelles idées à travers les routes qu’ils empruntaient. Ces influences ont encouragé certains penseurs indonésiens à esquisser les contours d’une libération théologique. L’institutionnalisation de ce mouvement ayant pour objectif de réconcilier islam, modernité et progrès est apparu comme une réponse aux enjeux politico-religieux contemporains de l’Archipel. Particulièrement développé depuis les années 1970, en réaction à la montée d’un conservatisme religieux tourné vers un passé mythique marqué par l’arabité de l’islam, ce courant a produit de nombreux penseurs remarquables dont les écrits n’ont reçu à ce jour qu’un écho confidentiel dans le reste du monde musulman. Cette présentation entend interroger les influences intellectuelles et théologiques étrangères ayant permis à cet « Islam berkemajuan » d’apporter une contribution remarquable au renouveau de la théologie musulmane.

La spiritualité javanaise (kejawen ou Javanisme) repose sur une culture, une éthique et une philosophie née de la rencontre, à Java, entre l’islam et les religions l’ayant précédé, Hindouisme et bouddhisme principalement. Face à l’institutionnalisation des religions portée par l’indépendance, les partisans de ces courants, jusqu'alors pour la plupart informels, ont réclamé un statut officiel et ont tenté de mieux structurer à la fois leur théologie et leurs organisations. Ces efforts ont conduit à un dialogue parfois rugueux avec les représentants de l’islam. Mais ils ont permis également à certains courants musulmans d’interroger la part de javanisme présente dans leurs pratiques religieuses. Cela a été particulièrement le cas des courants progressistes qui pour répondre aux désirs d’indépendance des adeptes du javanisme ont cherché à mieux intégrer les apports locaux dans leurs réflexions théologiques

Cette recherche interroge les enjeux politico-religieux en Indonésie sous l’Ordre Nouveau (1966-1998) et leur influence sur la manière d’envisager les rapports islamo-chrétiens. A la fin des années 1960, une partie du courant réformiste musulman a abandonné sa tolérance traditionnelle à l’égard des chrétiens. Cette mutation s’expliquait par la marginalisation de ces courants au sein du nouveau régime alors que les chrétiens recevaient quant à eux une place de choix.  Le développement de courants islamiques intransigeants, contestant désormais ouvertement le statu quo interconfessionnel inscrit dans le préambule de la constitution, a suscité, en réaction, de nouvelles tentatives pour trouver, au sein de la tradition islamique elle-même et non plus en s’appuyant sur une conception javanaise du religieux, de nouveaux ressorts théologiques justifiant l’ouverture aux autres confessions.

Dans un contexte de réaffirmation de l’identité religieuse, les partisans d’une réforme purificatrice de l’islam participent d’une surenchère islamique dont la condition féminine se fait le réceptacle. Le développement d’organisations de l’islamisme féminin et les différentes tentatives d’islamisation du droit ont encouragé l’investissement du champ militant par les femmes oulémas Indonésiennes. La condition féminine, leitmotiv de l’islam de progrès, fait écho à une tradition d’autonomie féminine notable en Asie du Sud Est. Historiquement de nombreuses femmes ont joué un rôle de gardiennes de la synthèse mystique qui caractérise l’islam indonésien. S’appuyant aujourd’hui sur une longue tradition scolastique, elles semblent désormais s’illustrer comme gardiennes d’un islam de progrès. L’effort d’aggiornamento théologique entrepris par ces dernières se propage à travers différents canaux de transmissions (Universités islamiques, écoles coraniques, organisations islamiques féminines…) que nous tenterons d’exposer en interrogeant les conditions et particularismes de la situation indonésienne à l’échelle du monde musulman.