AG21 - Smuggling geographies at the end of the Ottoman Empire. The Mediterranean and the Middle East

La contrebande était une pratique diffuse aux « frontières poreuses » (Tagliacozzo) de l’Empire ottoman et de ses États successeurs. Du Yémen à l’Albanie, de la Crète au Caucase, des révoltes et des guerres furent alimentées par les armes circulant de façon illégale, tandis que le trafic de stupéfiants et la migration illégale élargirent des circuits existants. Alors que les frontières entre légalité et illégalité évoluaient aux XIXe et XXe siècle, les « mondes pluriels » (Schayegh) des contrebandiers s’adaptèrent aux transformations politiques, sociales et territoriales. Le commerce illicite connectait les économies locales aux flux du capitalisme international, résultant en une « globalisation par le bas » (Schendel et Abraham) dans un mélange d’échanges informels et organisés. Ce panel réunit des perspectives sur le Moyen-Orient et la Méditerranée, où les géographies de la contrebande deviennent des histoires connectées de la fin de l’Empire ottoman et du monde post-ottoman. Des paysans, des marins, des migrants, des acteurs étrangers, des compagnies privées et des institutions étatiques interagirent selon des dynamiques spatiales et (il)légales complexes. Historiciser la contrebande permet de repenser nos unités d’analyse, nos catégories de collectivités et de subjectivités, notre terminologie et nos sources. Le panel met l’accent sur les connexions entre les réalités (post-)ottomanes, les empires coloniaux, et les autres États de la région. Il interroge différents biens et pratiques ainsi que la terminologie changeante de la contrebande, tout en cherchant un terrain commun pour nos discussions conceptuelles et méthodologiques sur des aires culturelles en transformation.

Responsable(s): Andreas Guidi, INALCO, France

Les études sur le colonialisme italien et sur l’Empire ottoman portent une attention croissante à la Libye afin d’interpréter les formes de la domination impériale. Cependant, elles portent soit sur l’époque ottomane tardive, soit sur la violence coloniale fasciste. Cette communication repense la Libye en tant qu’espace perméable aux circulations illégales à l’époque ottomane et italienne, en déplaçant le point de vue d’Istanbul et de Rome vers la Libye et la transformation de sa connectivité. La guerre italo-ottomane de 1911-12 révèle comment les institutions étatiques, la population locale -y compris la confrérie soufie Sanoussiya- et des intermédiaires actifs à travers les frontières modelèrent la transition entre dominations ottomane et italienne en Libye. Si les armes circulant par voie maritime ou terrestre jouèrent un rôle central, cette circulation existait avant et après la guerre. Les gouvernements ottoman et italien oscillaient entre le soutien et la répression de ces trafics. En utilisant des sources italiennes, ottomanes, turques et françaises, la communication se concentre sur les flux illégaux d’armes. La frontière occidentale avec la Tunisie, la côte face à la Sicile, à Malte, à la Grèce et à l’Anatolie, ainsi que la frontière orientale avec l’Égypte sous occupation britannique furent marquées par l’interaction de forces locales et extérieures. Les formes de domination et de résistance en Libye évoluèrent à travers une géographie changeante de la contrebande et de l’impérialisme en Méditerranée. Alors que les autorités étaient préoccupées par ces connexions méditerranéennes, les acteurs de la contrebande contribuèrent à développer celles-ci comme une ressource d’opposition au pouvoir étatique.

Cette communication réévalue l’immigration et l’installation illégales de Juifs en Palestine ottomane au prisme de la souveraineté politique, du droit et des régimes fonciers. Considérant l’écart entre des politiques ottomanes restrictives vis-à-vis du sionisme et la réalité d’un flux continu de migrants juifs dès les années 1880, elle explorera la notion de « contrebande » (Ar. tahrīb, Tr. kaçırma/kaçakçılık, Ger. Schmuggel, Eng. smuggling, Heb. havraḥa) à la fois comme une catégorie de pratique et un outil analytique pour appréhender le sionisme privé tel qu’incarné par la Jewish Colonization Association (JCA). À travers le cas de la région de Kabāra, qui faisait alors partie du district (qaḍāʾ) de Haifa, la présentation se focalisera sur des interactions concrètes entre JCA, colons juifs, agents consulaires, autorités ottomanes et acteurs arabes palestiniens locaux. Dans quelle mesure les colons juifs étaient-ils impliqués dans des opérations clandestines ou illégales visant à acquérir des terres et faire venir des proches, des matériaux de construction et des outils agricoles ? Que révèle le cas de Kabāra des articulations entre politiques impériales ottomanes, sociétés shāmi-es, impérialisme européen et colonialisme de peuplement juif sioniste ? L’étude s’appuiera sur des sources conservées dans des archives israéliennes, palestiniennes et turques, ainsi que sur des récits de voyageurs et des mémoires publiées d’acteurs locaux.

Cette communication est une réflexion sur l'émergence des circuits illicites à la fin de l'Empire ottoman qui se concentre sur trois études de cas : la première porte sur Himare (Himarë), un petit village situé sur la côte ionienne méridionale qui voit le développement de la contrebande terrestre et l'expansion des réseaux maritimes illicites à la fin du XIXe siècle ; la deuxième étude de cas porte sur Kaşot (Kasos), une île ottomane près de la Crète, qui devient une plaque tournante régionale pour les opérations de contrebande de plus en plus axées sur les armes et les explosifs. La troisième étude est dédiée à Kalkandelen (Tetovo), une ville connue pour ses armuriers qui commencent à fabriquer des armes et à les vendre aux comités révolutionnaires. Dans ces trois contextes, les processus plus larges de centralisation et de mondialisation de l'État détruisent les économies locales existantes de manière radicale. Alors que l'urgence d'améliorer la fiscalité, la coercition et l'administration intensifie les contacts et - finalement - les conflits entre l'appareil d'État et ces économies locales, la mondialisation les mine encore plus en rendant leur artisanat traditionnel obsolète et en attirant la main-d'œuvre locale vers de nouveaux centres de commerce situés ailleurs. À la fin du XIXe siècle, ces "petits lieux" se réinventent en exploitant les nouveaux vecteurs commerciaux, souvent illicites, alimentés par l'introduction de nouveaux "outils de révolution". Cette communication cherche à analyser cette transformation, tout en traçant les réponses des bureaucrates ottomans qui ont cherché à placer cette économie alternative sous leur contrôle.

La communication interroge la transformation de la contrebande dans la Turquie post-ottomane en mettant l’accent sur la frontière avec l’Iran. La communication couvre une période qui va de la guerre d’indépendance turque, lorsque le gouvernement turc essaya d’étendre son autorité au-delà d’Ankara, jusqu’à l’« incident de Muğlalı » de 1943, durant lequel trente-trois contrebandiers furent massacrés par l’armée turque. Tant les facteurs internes –la politique nationaliste, les préoccupations économiques et la présence de communautés non-turques, en particulier kurdes– que des facteurs externes –l’invasion anglo-soviétique de l’Iran– transformèrent la contrebande. La Turquie intensifia la surveillance de sa frontière avec l’Iran non seulement pour servir ses intérêts, mais également suite aux demandes officielles de l’Iran, avec lequel les Kémalistes souhaitaient avoir des relations étroites. La plupart des études sur cette frontière se sont concentrées sur les relations diplomatiques, négligeant ainsi la contribution importante des acteurs non-étatiques. Par contraste, j’explore la transformation de la contrebande en analysant son poids économique pour la population locale, les négociations entre l’État et ses citoyens, le rôle joué par l’ethnicité dans le discours officiel et les préoccupations sécuritaires de l’État turc. Les sources utilisées incluent des rapports envoyés par les officiers locaux au gouvernement central, la correspondance diplomatique entre les autorités iraniennes et turques, les débats parlementaires, la presse circulant à l’échelle locale et nationale, des mémoires et des archives judiciaires. La communication suggère que l’importance sociale et politique de la contrebande en Turquie évolua non pas simplement à cause des politiques gouvernementales, mais aussi en raison de l’influence exercée par les acteurs locaux agissant à travers les frontières.