AG17 - Socio-histoires de l’autorité en situation coloniale : quels renouvellements ?

L’étude du pouvoir en situation coloniale a connu depuis une vingtaine d’années un fort renouvellement, que ce soit par les travaux sur des catégories d’acteurs (militaires, juges ou ingénieurs…), par la diversification de ses objets (comme le corps et la sexualité, cf. Stoler 2010, Surkis 2019) ou encore par l’analyse anthropologique des représentations de l’autorité (Naepels 2010, Bensa & Goromodi 2005). Par ailleurs, la sociohistoire de l’action publique comme la sociologie des situations de crise ont souligné l’importance des ruptures, des incertitudes et des conditions matérielles du pouvoir, notamment sur d’autres terrains (Dobry 1986, Tackett 2006, Stoler 2009, Aït-Aoudia & Roger 2010, Payre & Pollet 2013). Ces approches ont ainsi cherché à éviter les écueils d’une histoire uniquement institutionnelle reposant sur les postulats de la rationalité et du charisme d’un nombre limité d’acteurs.

Il s’agira ici de voir comment l’histoire de l’autorité en contexte colonial peut se saisir de ces apports, en mettant l’accent sur les formes de discontinuité, les luttes internes, les émotions et les incertitudes dans l’exercice de l’autorité. A partir de cas précis d’analyse du pouvoir en interaction, plusieurs éléments seront notamment analysés : 

Ces questions seront abordées aussi bien par l’analyse des acteurs de l’autorité que par celle des administrés et sujets de celle-ci. 

Responsable : François Dumasy, IEP Aix-en-Provence, France

L'occupation française de l'Algérie met en opposition plusieurs conceptions de l'autorité gouvernementale. L'historiographie a ainsi insisté sur la concurrence entre pouvoirs civil et militaire, conclue dans un premier temps par la domination de ce dernier. Mais cette subordination n'empêche pas les intendants civils de chercher à assoir leurs prérogatives dans la première moitié des années 1830, en mobilisant des modèles variés d'autorité administrative (qu'il s'agisse de l'intendance coloniale d'Ancien Régime, de la préfecture ou des pratiques de domination napoléoniennes) et en cherchant à légitimer leur action par une abondante production d'écrits, en particulier à destination de la métropole. A partir de ces écrits et de la correspondance de ces intendants, il s'agira de voir donc de voir comment ces derniers, contraints par la concurrence avec d'autres administrations et par les jeux d'intérêts personnels, tentent de répondre à l'incertitude institutionnelle par l'élaboration de leurs propres outils et conceptions de l'autorité.

Sans mettre un terme au fonctionnement du Bayt al-mâl, une institution ottomane préposée à la gestion des biens vacants, les autorités coloniales ont cherché très tôt après la conquête d’Alger à tirer parti de ses revenus et de ses capacités de contrôle. Parallèlement fut progressivement mis fin à l’autonomie de l’administration exercée jusque-là par le Bayt al-mâl. A la fin des années 1840, ce dernier n’est plus, dans l’organigramme de l’administration coloniale, qu’un simple bureau placé sous la responsabilité du directeur du Domaine colonial, privé de toute initiative autre que celle d’assurer la tenue des coffres contenant les dépôts des personnes mortes sans héritier. Pourtant la lecture des registres que les agents de ce « service » continuèrent de tenir en lien avec leurs activités restituent une image très différente de cette fonction subalterne.  En reconstituant les modalités et la portée de ces activités, nous interrogeons la coexistence des deux statures apparemment contradictoires du Bayt al-mâl dans le paysage institutionnel.

Par effet même du protectorat, l’autorité est divisée, au Maroc et en Tunisie, entre une administration coloniale, dirigée par les Français, et une administration monarchique maintenue. A rebours d’une historiographie qui estimait que toute l’action publique était initiée par la première, il s’agit ici de comprendre la façon dont les autorités coloniales doivent compter avec les politiques publiques des deux monarchies. Nous chercherons à saisir la logique de ces projets politiques parfois contradictoires, parfois accordés, les traces archivistiques qu’ils ont pu laisser et les lieux où ils se rencontrent, s’affrontent ou s’ignorent. Le cas des réformes de la fonction publique et des institutions constitutionnelles sera particulièrement mis en avant. Ce pluralisme des actions publiques sera également scruté dans ses conséquences sur les interventions de l’État dans la société, dans une démarche de sociologie de l’action publique.