Responsable: >Perrine Lachenal & Emma Aubin-Boltanski

A3 - Les oiseaux et la fabrique des ordres sociaux en Méditerranée: perspectives anthropologiques

Date : 2022-09-22 | 11:00:00-13:00:00

Évènement : Congrès INSANIYYAT

Programme détaillé : cliquer ci-contre
Catégorie :
A
Lieu :
ISAMM
Salle :
C5
Responsable : Perrine Lachenal & Emma Aubin-Boltanski
Modérateur·trice :
Discutant·e :
Les intervenant·e·s :
Lachenal Perrine CNRS/IRMC
Aubin-Boltanski, Emma CNRS
Barbosa Gustavo Universidade Federal Fluminense
Manceron Vanessa CNRS

A3 - Les oiseaux et la fabrique des ordres sociaux en Méditerranée: perspectives anthropologiques FR
Salle: C5
Responsables :   Perrine Lachenal, CNRS (CNE-Marseille) France – IRMC et Emma Aubin-Boltanski, CNRS (Césor-Paris), France

  •  Perrine Lachenal, CNRS (CNE-Marseille) – IRMC, (France), Mémoires, masculinités et allégories de la cage. Enquête ethnographique auprès des éleveurs de canaris en Tunisie
  • Emma Aubin-Boltanski, CNRS (Césor-Paris), (France), Hammoudeh ou l’histoire singulière d’un pigeon syrien à Beyrouth

  • Gustavo Barbosa, Center for Middle Eastern Studies/Universidade Federal Fluminense, (Brésil), Les ailes du désir ou le ciel de Chatila : les shabab, les pigeons et l’ethnographe

Vanessa Manceron,  CNRS (LESC-Nanterre) (France), et Giovanni Gugg, Université de Naples, LAPCOS, (Italie),  Des oiseaux à la lisière de la légalité : jeux de pouvoir entre police environnementale, activistes de la protection et chasseurs (Italie, Campanie)

Cet atelier thématique a pour objectif de mettre en lumière la part animale de la construction des rapports sociaux de pouvoir chez les humains en interrogeant les conditions de possibilités d’une ethnographie « multi-espèces ». Porter l’attention sur les relations entre humains et oiseaux permet d’appréhender de manière inédite –  c’est le parti pris de cet atelier thématique – les reconfigurations qui affectent aujourd’hui les sociétés du pourtour méditerranéen. Les interventions réunies dans cet atelier illustreront, à partir de différentes enquêtes de terrains (menées entre autres en Italie, au Liban et en Tunisie), que les oiseaux invitent à un « jeu d’échelles » nécessaire pour penser et comprendre le monde contemporain, en liant les territoires de l’intime à des questions d’ordre politique et géopolitique. Concours de chants pour canaris, courses de pigeons, chasse au faucon, associations ornithologiques : les oiseaux, de multiples façons, « socialisent les humains » (Despret 2019 : 118) et participent ainsi à l’émergence et à la constitution de mondes sociaux dont ils sont inséparables. Ce sont ces derniers, ainsi que les cultures matérielles et motrices auxquelles ils sont associés que cet atelier thématique se propose d’analyser à l’aide des études de genre, dans leurs dimensions symbolique, émotionnelle, sociale et politique. Nous n’envisageons pas les oiseaux seulement comme des vecteurs ou des supports de socialisation sexuée mais comme des acteurs contribuant aux configurations et reconfigurations des rapports sociaux de sexe dans le monde méditerranéen. 


Responsables :   Perrine Lachenal, CNRS (CNE-Marseille) France – IRMC et Emma Aubin-Boltanski, CNRS (Césor-Paris), France

  •  Perrine Lachenal, CNRS (CNE-Marseille) – IRMC, (France), Mémoires, masculinités et allégories de la cage. Enquête ethnographique auprès des éleveurs de canaris en Tunisie
L’élevage des canaris, pourtant très populaire au Maghreb, n’a que peu suscité l’intérêt des sciences sociales. Ces oiseaux dits « de cages » ou « d’ornement » sont quasiment absents des travaux sur la région tout comme de ceux spécialisés sur les oiseaux. Ce sont pourtant eux que l’on voit et que l’on entend le plus dans les rues d’Alger ou de Tunis, voletant et chantant dans des cages suspendues à l’entrée des échoppes et des maisons. Ils constituent des acteurs importants de la culture sonore au Maghreb et font d’ailleurs l’objet de compétitions de chant particulièrement prisées en Tunisie, en Algérie et au Maroc dans le cas du canari et du chardonneret – appelé maknin. L’élevage des oiseaux de cage s’accommode bien des espaces domestiques ; il ne nécessite pas d’investissements financiers ou matériels trop conséquents, ni de grands espaces, de terrasses ou de toits. Inspirée par des travaux portant sur d’autres aires culturelles, je l’envisage comme un objet d’étude unique pour travailler sur les masculinités des classes moyennes ainsi que sur les performances émotionnelles, imaginaires sociaux, politiques du sensible et systèmes symboliques qui leur sont associés. Je m’attacherai notamment sur l’image de la cage fermée ou ouverte telle qu’elle a été visible dans les iconographies révolutionnaires de 2011 en Tunisie. En Algérie également, le chardonneret est associé à l’expérience carcérale, particulièrement dans la période de la colonisation française ; et son chant est à ce titre comparé à un « hymne national » célébrant la liberté du peuple.


  • Emma Aubin-Boltanski, CNRS (Césor-Paris), (France), Hammoudeh ou l’histoire singulière d’un pigeon syrien à Beyrouth

À Beyrouth, comme dans la plupart des villes du Proche-Orient, la colombophilie est très répandue.  La majorité des éleveurs s’adonnent à un jeu appelé kashsh hammam en arabe. Le kashsh consiste à faire tourner des escadrilles de pigeons au-dessus des toits. L’objectif est d’attirer et de capturer les oiseaux d’un autre joueur. Le kashsh oscille entre le jeu, la chasse et la violence guerrière. L’abstraction qu’implique le jeu (faire « comme si » on chassait) peut basculer dans une réalité potentiellement dangereuse - chasser réellement et capturer le pigeon d’un autre ; le simple « plaisir de faire » qui caractérise le jeu peut avoir une finalité violente, celle d’humilier un adversaire et à travers cet acte réaffirmer ou remettre en cause les hiérarchies sociales et les rôles assignés. Entre l’homme et l’animal, la forme d’attachement ressemble à celle qui lie le chasseur à sa meute de chiens. C’est avant tout le groupe qui importe. Cependant, certains pigeons font l’objet de considérations individuelles, voire d’un amour immodéré perceptible dans les gestes d’attention quotidiens (caresses, baisers, soins) qui leur sont réservés ou au contraire dans la violence réservée à ceux qui « trahissent ». « Quand tu perds un pigeon, c’est ton honneur (‘ird) qui est sali, explique un colombophile, pour laver l’humiliation, j’égorge ceux qui s’égarent et qu’on me rend ». C’est dans ce contexte que se situe la singulière histoire d’un pigeon voyageur syrien appelé Hammoudeh.

  • Gustavo Barbosa, Center for Middle Eastern Studies/Universidade Federal Fluminense, (Brésil), Les ailes du désir ou le ciel de Chatila : les shabab, les pigeons et l’ethnographe

Les shabab (jeunes) de Chatila, un camp de réfugiés palestiniens de la banlieue de Beyrouth, sont très investis dans l'élevage des pigeons. Ils se livrent à des compétitions par le biais de leurs oiseaux, une activité qui peut dégénérer et s’avérer périlleuse étant donné l’absence d’une autorité détenant le monopole de la violence dans le camp. Privés de perspectives de voyager ou d’émigrer en raison de leur statut de réfugiés, les jeunes hommes profitent de la liberté de voler sans entrave de leurs animaux de compagnie. Leur situation économique les obligeant à reporter leurs projets de mariage et à restreindre leur vie sexuelle, ils célèbrent par ailleurs les prouesses sexuelles de leurs animaux. Pour autant, l’ethnographe qui s’intéresse à la relation qui se noue entre ces shabab et leurs oiseaux ne souhaite pas déduire que les hommes qui élèvent des pigeons produisent, par le biais de cette pratique, un texte sur eux-mêmes, ou un commentaire sur leur vie sociale, ni même qu’il s’agit de simples projections de leurs frustrations et de leurs désirs sur les oiseaux. Ce qui est en jeu dans la danse de l'intercorporéité – celle qui s’engage entre les corps des shabab et ceux de leurs oiseaux en vol - est plutôt une ouverture à la différence qui permet de fragiliser la frontière entre le soi et l'autre, la culture et la nature et inaugure ainsi une ouverture « charnelle » à la différence, créant une politique ancrée dans un engagement éthique et une responsabilité envers l’autre.


  • Vanessa Manceron,  CNRS (LESC-Nanterre) (France), et Giovanni Gugg, Université de Naples, LAPCOS, (Italie),  Des oiseaux à la lisière de la légalité : jeux de pouvoir entre police environnementale, activistes de la protection et chasseurs (Italie, Campanie)

La région de Campanie est l'une des plus touchées par le braconnage d'espèces sauvages protégées. En 2017, 430 affaires pénales y ont été enregistrées pour le seul piratage de la biodiversité. Dans ce contexte singulier propice à l’étude d’un rapport aux oiseaux sauvages enchâssé dans le champ de la légalité s’ouvre toutes une chaîne d’interdépendance émaillées de tensions et de conflits entre divers collectifs sociaux que les animaux semblent rassembler en une même scène, parce qu’hommes et bêtes se trouvent pris dans un jeu d’interface à la lisière du licite et de l’illicite, du permis et de l’interdit et de jugements légaux ou moraux dissonants. Se trouvent ainsi concernés des activistes de la protection environnementale ou animale, devenus gardes zoophiles ou garde-chasse, auxiliaires bénévoles des forces de l’ordre, formant une police citoyenne très active sur le territoire ; des chasseurs qui évoluent dans une zone trouble depuis le simple usage de techniques de chasse interdites jusqu’au trafic lucratif d’animaux morts ou vifs ; et des agents des forces de l’ordre impliqués dans la lutte contre la délinquance environnementale. À suivre les opérations anti-braconnage, apparaît un registre discursif et d’action fortement imprégné par la logique militaire et guerrière, avec des formes d’héroïsation remarquables du travail de surveillance et de punition au nom des oiseaux, comme en miroir du chasseur-braconnier et de sa construction comme figure criminelle. Les oiseaux, mis en langage et en récits, parlent d’une ambivalence exquise et recherchée entre violence et beauté, domination et attachement passionné, vie et mort.

Birds in the Making of Social Orders in the Mediterranean

Anthropological Perspectives.

This thematic workshop aims to highlight the animal part of the construction of social relations among humans by questioning the conditions of possibility of a "multi-species" ethnography. Focusing on the relations between humans and birds allows us to understand in a new way - this is the purpose of this thematic workshop - the reconfigurations that affect contemporary societies around the Mediterranean. The interventions gathered in this workshop illustrate, from different fieldworks (conducted in Italy, Lebanon and Tunisia, among others), that birds invite to a necessary "play of scales" to think and understand the world, by linking together intimacy to political and geopolitical issues. Canary singing contests, pigeon races, falcon hunting, ornithological associations, environmental "police": birds, in many ways, "socialize humans" (Despret 2019: 118) and thus participate in the emergence and constitution of social worlds of which they are inseparable. It is these, as well as the material cultures with which they are associated, that this thematic workshop proposes to analyze with the help of gender studies, in their symbolic, emotional, social and political dimensions. We do not consider birds only as vectors or supports of gendered socialization but as actors contributing to the configurations and reconfigurations of power relations in the Mediterranean world. 


Workshop leaders: Emma Aubin-Boltanski et Perrine Lachenal


  •  Perrine Lachenal, CNRS (CNE-Marseille) – IRMC, (France), Mémoires, masculinités et allégories de la cage. Enquête ethnographique auprès des éleveurs de canaris en Tunisie
“Memories, Masculinities and Allegories of the Cage. Ethnographic Fieldwork Among Canary Breeders in Contemporary Tunisia”

Canary breeding, although very popular in the Maghreb, has received little attention from the social sciences. These so-called "cage" or "ornamental" birds are almost absent from research works on the region as well as from those specialized on birds. However, they are the ones we see and hear the most in the streets of Algiers or Tunis, fluttering and singing in cages hung at the entrance of shops and houses.They are important actors of the sound culture in the Maghreb and are the subject of singing competitions particularly prized in Tunisia, Algeria and Morocco in the case of the canary and the - now endangered species - goldfinch, called maknin.  The breeding of cage birds fits well domestic spaces; it does not require large financial or material investments, nor large spaces, terraces or roofs. Inspired by works on other cultural areas, I consider it as a unique object of study to work on middle-class masculinities as well as on the emotional performances, social imaginaries, politics of the sensitive and symbolic systems that are associated with them. I will focus on the image of the closed or open cage as it was visible in the revolutionary iconographies of 2011 in Tunisia. In Algeria too, the goldfinch is associated with the prison experience, particularly in the period of French colonization; and its song is as such compared to a "national anthem" celebrating the freedom of the people.


  • Emma Aubin-Boltanski, CNRS (Césor-Paris), (France), Hammoudeh ou l’histoire singulière d’un pigeon syrien à Beyrouth

"Hammoudeh or the Singular Story of a Syrian igeon in Beirut"

In Beirut, as in most cities in the Middle East, pigeon racing is widespread.  The majority of the breeders are involved in a game called kashsh hammam in Arabic. Kashsh hammam consists of circling flocks of pigeons over rooftops. The objective is to attract and capture the birds of another player. Kashsh oscillates between play, hunting and warlike violence. The abstraction implied by the game (acting "as if" one were hunting) can tip over into a potentially dangerous reality - truly hunting and capturing someone else's pigeon; the simple "pleasure of doing" that characterizes the game can have a violent purpose, that of humiliating an opponent and through this act reaffirming or questioning social hierarchies and assigned roles. Between man and animal, the form of attachment resembles that between the hunter and his pack of dogs. It is above all the group that matters. However, some pigeons are the object of individual considerations, even of an immoderate love perceptible in the daily gestures of attention (caresses, kisses, care) or on the contrary in the violence reserved for those who "betray". "When you lose a pigeon, it is your honor ('ird) that is soiled, explains a pigeon fancier, to wash away the humiliation, I slit the throats of those who stray and are returned to me. It is in this context that the singular story of a Syrian carrier pigeon called Hammoudeh is situated.

  • Gustavo Barbosa, Center for Middle Eastern Studies/Universidade Federal Fluminense, (Brésil), Les ailes du désir ou le ciel de Chatila : les shabab, les pigeons et l’ethnographe

“The Wings of Desire or the Sky over Shatila : Shabab, Pigeons and an Ethnographer”, Gustavo Barbosa

The shabab (lads) of Chatila, a Palestinian refugee camp in the outskirts of Beirut, are heavily involved in raising pigeons. They compete with their birds, an activity that can get out of hand and be dangerous given the lack of an authority holding a monopoly on violence in the camp. Deprived of the prospect of travel or emigration due to their refugee status, the young men take advantage of their pets' unfettered freedom to fly. With their economic situation forcing them to postpone marriage plans and restrict their sex lives, they also celebrate the sexual prowess of their pets. Yet, when reflecting upon the pattern that existentially connects shabab and birds – human and non-human – the ethnographer interested in the existential relationship between these shabab and their birds does not wish to infer that the men who raise pigeons are producing, through this practice, a text about themselves, or a commentary on their social life, or even that these are mere projections of their frustrations and desires onto the birds. Rather, what is at stake in the dance of intercorporeality - engaged between the bodies of the shabab and those of their birds in flight - is an openness to difference that allows for the weakening of the boundary between self and other, culture and nature, and thus inaugurates a "carnal" openness to difference, creating a politics rooted in an ethical commitment and responsibility towards the other.


  • Vanessa Manceron,  CNRS (LESC-Nanterre) (France), et Giovanni Gugg, Université de Naples, LAPCOS, (Italie),  Des oiseaux à la lisière de la légalité : jeux de pouvoir entre police environnementale, activistes de la protection et chasseurs (Italie, Campanie)

“Birds on the Edge of Legality: Power Games between Environmental Police, Conservation Activists and Hunters (Italy, Campania)”

Campania is one of the regions most affected by poaching of protected wildlife species. In 2017, 430 crimes against biodiversity were recorded. This context is conducive to the study of a chain of interdependencies marked by tensions and conflicts between various social groups that animals seem to bring together in the same scene, because humans and animals are involved in a game of interfaces and on the edge of the licit and the illicit, the permitted and the prohibited, and of dissonant legal or moral judgments. These are activists for the protection of the environment or animals, who have become zookeepers or gamekeepers, voluntary police auxiliaries, forming a city police force that is very active in the area; hunters operating in a troubled area, from the simple use of prohibited hunting techniques to the lucrative trafficking of dead or alive animals; and law enforcement officers engaged in the fight against environmental crime. Following the anti-poaching operations, a discursive and action register emerges that is strongly impregnated with military and war logics, with notable forms of heroisation of the work of surveillance and punishment in the name of birds, as a mirror image of the hunter-poacher built as a criminal figure. Birds, placed in language and stories, speak of a subtle and searching ambivalence between violence and beauty, domination and passionate attachment, life and death.

>