AG24 - L’école empêchée : Institution scolaire et autorités en contexte de crise, 20e-21e siècles

L’école, parce qu’elle se trouve à l’articulation entre le quotidien de familles et d’acteurs locaux et les intérêts des institutions étatiques ou communautaires dont elle relève, est à la fois un sanctuaire social et un outil actif de construction du politique. Ses configurations sociales dans le temps et l’espace du monde arabe depuis les entreprises coloniales du 19e siècle sont aussi plurielles que les contextes politiques qui l’encadrent, bousculés par les guerres, les violences politiques et sociales, les aléas climatiques et économiques et les mouvements migratoires. 

Cet atelier part de l’hypothèse que les crises, sous toutes leurs formes, mettent en tension le lien entre les acteurs de l’école et les pouvoirs dont elle est l’émanation institutionnelle. Les communications ici présentées viseront donc à interroger la façon dont les crises, leurs ressorts et leurs enjeux se répercutent ou sont perçus parmi les acteurs de l’école, ce qu’elles révèlent des liens institutionnels qui la traversent, et, enfin, ce qu’elles fabriquent au sein de l’école en matière de rapports de force, de solidarités, de réajustement des autorités enchâssées des parents, des enseignants, des directeurs d’école ou des recteurs. A rebours de l’idée d’une école qui serait seulement abîmée par les situations de crise, il s’agit de comprendre les processus par lesquels celles-ci produisent d’autres manières d’investir l’école et conduisent à la transformer, voire à la réinventer.

Responsable : Juliette Honvault, IREMAM, CNRS, France

Discutant : Aude Signoles, IEP, MESOPOLHIS, France

Dans l’imamat zaydite du Yémen des années 1930 à 1960, la majeure partie du système d’enseignement repose sur l’initiative privée et son caractère aléatoire. En prenant appui sur deux cas de fondations d’écoles en milieu rural, cette communication invite à revenir sur le désir d’Etat dans le domaine scolaire, et sur la relation de défi que l’école impose au pouvoir par ses revendications d’existence, de statut, d’objectifs et de fonctionnement. Elle donne à comprendre comment l’initiative privée, face à la crise de la présence étatique sur le plan social, participe à construire, par des mobilisations locales, les conditions de la formation au politique et de la revendication de l’Etat-providence.

"Présent !" Cette réponse familière de l’élève à l’enseignant qui fait l’appel précède le début du cours et identifie ceux qui sont là, prêts à se mettre à la tâche. Dans le contexte de la guerre d'indépendance algérienne, l'assiduité prend un tout autre sens lorsque les listes d'absents et de présents sont produites et réclamées à des fins de surveillance de la population. Avec l'affirmation de la guerre psychologique et la nécessité pour les autorités françaises de rallier la population algérienne contre le FLN, l’école constitue un nouvel enjeu du conflit, et la scolarisation dans les écoles françaises est interprétée comme un geste politique. Le respect de l'obligation scolaire devient un gage d’adhésion des élèves et de leur famille, de ralliement pour les autorités civiles et militaires françaises, de trahison pour leurs adversaires.

Tout au long de la guerre du Liban, le lycée Abdel Kader de Beyrouth, prestigieux établissement de la Mission Laïque Française, constitue un terrain et un enjeu du conflit. À partir des archives de l’école, notre communication se propose de mettre au jour la manière dont l’institution scolaire et sa communauté éducative se sont adaptées à un contexte de crise voyant émerger de nouvelles menaces (bombardements des locaux, enlèvements du personnel, politisation des élèves, etc.), de nouveaux acteurs (chefs de partis politiques, miliciens, notables locaux, etc.) et de nouveaux modes de fonctionnement (transferts d’élèves, mobilisation accrue des parents, crise du recrutement d’enseignants, etc.). En 1985, la vente de l’établissement à la Fondation Hariri (libanaise, privée et sunnite) consacre une gestion à « trois têtes » avec la Mission Laïque et le MAE français. Pérenne et novatrice, cette formule révèle particulièrement bien la logique d’adaptation de cette institution au contexte politique, fût-il guerrier.

Depuis 2012, plusieurs centaines de milliers de Kurdes de Syrie se sont installés dans la région autonome du Kurdistan d’Irak, pour la plupart dans des camps gérés par les autorités kurdes d’Irak en lien avec des ONGs et des organisations internationales. Depuis 2014, les enfants y suivent un enseignement mis en place par le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et dispensé en arabe par des professeurs syriens eux-mêmes réfugiés. Cette offre scolaire est traversée par une double dynamique mêlant le long processus de construction et de pérennisation du système scolaire au Kurdistan d’Irak avec la configuration politique et sociale multiforme propre aux réfugiés kurdes de Syrie, sur fond de rivalités entre le GRK, le PYD/PKK, le comité national kurde de Syrie et l’opposition syrienne « arabe ». A partir d’un terrain mené entre 2017 et 2018 dans trois camps de réfugiés, nous tenterons de rendre compte de cette situation née de la crise, qui interroge les notions de communautés kurde et syrienne.

Depuis les attentats de 2003, l’Etat marocain s’investit tout particulièrement dans l’éducation coranique, afin de contrer les influences concurrentielles du salafisme wahhabite saoudien notamment. Il se fonde sur un islam marocain, une doctrine officielle inspirée du salafisme marocain historique qui prône réforme  modernisatrice (dans la lignée de R. Rida) et un retour à un islam originel marghrébo-andalou - un islam juridique basé sur le Coran, l’ash‘arisme et le malikisme. Il s’agira ici de comparer les méthodes et les contenus des Études coraniques à l’Université d’al-Qarawiyyine à Fès avec ceux du département séculier d’Études islamiques à l’Université de Fès, notamment à travers le portrait d’un professeur en sciences coraniques exerçant dans ces deux institutions, traversées par ce même processus polymorphe d’étatisation, de modernisation et de traditionalisme, de sécularisation et de salafisation que connait le Maroc depuis près de vingt ans.