A38 - Espaces physiques et de l’imaginaire en temps de crise : 1/2

Les espaces publics sont les lieux dans lesquels les sociétés se donnent à voir en temps ordinaire. Leurs représentations, occupations, appropriations expriment la manière dont les groupes sociaux se distribuent dans les villes. En temps de crise (quelle que soit sa nature : sociale, politique, sanitaire, environnementale, climatique...) l’ordre habituel explose entraînant des modifications/adaptations dans les rapports des habitants aux espaces publics. L’ordinaire devient exception et les normes de pratiques des espaces publics semblent ne plus s’appliquer de la même manière. Les espaces sont investis autrement : occupés, modifiés, aménagés, détruits, ils deviennent des éléments concrets de survie, des ressources de résistance et de contestation du pouvoir et d’expressions artistiques de formes très variées. Cependant un élément reste stable : ils demeurent des espaces du commun, dans lesquels des messages sont diffusés à l’intention d’un collectif large à des fins d’affirmation d’un droit à la ville, de communication publique et de lutte pour le droit à la reconnaissance, tout particulièrement pour les femmes et pour les groupes minoritaires ou d’opposition.

L’atelier se focalise sur les reconfigurations de l’espace et de l’imaginaire en temps de crise dans la région MENA. On se réfère ici à l'impact de la crise politique, de représentations, d'hégémonie qui suivent un bouleversement majeur comme les protestations du 2011, ou toute autre sorte de crise. Dans ce contexte, l’analyse vise à explorer des méthodes de recherche et la production artistique comme moyens pour se représenter et se (ré)approprier l’espace (physique ou virtuel), pour promouvoir des projets politiques divers: de là se lancent des mobilisations politiques et de l’imaginaire à des fins de construction de l’identité, une archive de la mémoire, de liberté d’expression, ou d’imaginer de nouveaux espaces de possibilités comme réponse aux crises et leur analyse.

Responsable: Gaëlle Gillot, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France

Quelques mois seulement après l’explosion de la révolution tunisienne de 2011, une des premières fondations artistiques indépendante de Tunisie, la Fondation Kamal Lazaar organisait les 8 et 9 octobre 2011, une conférence intitulée : « Art et mémoire au Maghreb ». La Conférence affirmait la nécessité de définir une histoire de l'art public tunisien et confirmait que la Fondation entendait jouer un rôle dans la définition postrévolutionnaire d'une ‘histoire de l'art nationale’, qui passe, avant tout, pour la Fondation, dans la négociation d’un ‘droit à un espace dans l'espace public tunisien’. La communication interrogera le processus de construction d’un discours national contemporain opéré par le Fondation Kamal Lazaar qui n'est pas seulement aux antipodes de la Tunisie de Ben Ali, mais est aussi inédit pour la scène artistique arabe globale. En particulier, l’occupation de l’espace public en 2017 lors de la tenue du premier pavillon tunisien depuis 1958 à la Biennale de Venise confirme encore l'importance de la Fondation Kamal Lazaar dans la redéfinition de l'histoire postcoloniale, du discours nationaliste tunisien et de la scène artistique arabe mondiale, qui passe à travers une nouvelle approche artistique à l’espace public et regarde bien au-delà de la seule problématique tunisienne. 

Les pratiques urbaines ne sont pas directement lisibles sur des cartes “conventionnelles”. En revanche, les cartes mentales expriment par les personnes qui les dessinent, une ville en quelque sorte “enchantée”, où souvent seuls les lieux familiers et appropriés apparaissent. Les parcours du quotidien, commentés et émaillés de photographies par les personnes qui les pratiquent donnent aussi une idée de la ville telle qu’elle est vécue en temps ordinaire et lors des périodes exceptionnelles, telles que le chaos provoqué par une crise quelle que soit sa nature, ou le vide lié à un confinement. Les pratiques urbaines se (re)définissent, se modèlent en fonction d’un rôle social, genré, via une approche sensible liée aux nécessités de la vie courante (se déplacer, se procurer de la nourriture...) de même qu’aux sentiments de sécurité ou d’insécurité et des instructions des politiques et gestionnaires de la ville (couvre-feu, ou interdiction de passer dans une rue...). L’exposition de ces cartes et photographies dans la rue permettent de donner à voir la ville représentée par celles et ceux qui l’habitent et engager le dialogue avec eux. Navez-Bouchanine affirmait que seuls les espaces dans lesquels on se sent à sa place peuvent être appropriés. Les cartes mentales et la photographie aident à rendre lisible l’appropriation des lieux par les habitant.e.s et à l’analyser dans des perspectives d’aménagement et/ou de prévention-gestion des crises. Cette intervention se basera sur des terrains au Maroc et en Tunisie auprès de personnes de milieux populaires.