A44 -Littérature et crises 3/3 : Crises historiques

L’expression de la crise du pouvoir royal constitue une constante dans la longue histoire de la monarchie française. Elle commence dès la Chanson de Roland où l’action de Charlemagne sur le cours des événements est parfois présentée en des termes problématiques. Elle se fait explicite dans les premières épopées du cycle de Guillaume d’Orange qui mettent clairement en doute les réelles capacités de l’héritier, nouvellement associé au trône, à gouverner. Plusieurs chansons de geste du XIIe siècle présentent, selon divers cas de figure, la faiblesse du roi dans une société féodale qui lui concède rarement la suprématie qu’il est censé avoir. Il en découle une crise du pouvoir royal que la littérature expose tout en prenant le soin de la compenser par la création d’une figure héroïque d’exception.

La chanson de geste, très justement définie comme « la première rencontre durable et massive de l’épopée et de la politique », est le reflet de crises politiques vécues par les trouvères à l’époque capétienne et transposées dans un lointain passé carolingien. C’est ce mouvement pseudo-rétrospectif qui sera étudié à travers les modalités qui le mettent en œuvre dans différents textes afin de montrer que malgré la crise politique profonde qui suscite souvent l’intrigue, la monarchie française reste seule garante de la stabilité et de la cohésion du monde chrétien d’Occident. Ensuite, au-delà des motivations idéologiques générales servant la visée compensatoire évidente du genre, les détails de la représentation de la figure royale et de l’impact de ses agissements sur l’image de la monarchie feront l’objet d’une étude comparative approfondie. Enfin, la crise politique peut produire ou, au contraire, résulter d’autres types de crises (crise sociale, crise conjugale, etc.) faisant parfois basculer les récits dans des registres aussi opposés que le pathétique et le comique.       

La Mer, avant-dernier volet des essais d'histoire naturelle de Michelet, explore conjointement révolutions géologiques et révolutions historiques. Nourri de théories transformistes et catastrophistes, l’historien romantique n’a de cesse de prôner un idéal d’harmonie et d’unité, à l’image de la Nature.

Entre étendues grandioses et profondeurs sous-marines, La Mer, texte éminemment politique, s’attarde sur les crises qui secouent, à l’avenant, le globe et l’histoire des hommes.   

Le dernier quart du XVIe siècle a été marqué, en littérature, par la thématique criminelle. Cette fascination avait un lien direct avec le contexte socio-politique de l’époque où la France était déchirée par les guerres civiles opposant Protestants et Catholiques. Une période sinistre, voire lugubre, a permis l’émergence des canards criminels, un genre éphémère présentant différents points communs avec les histoires tragiques. Ces publications mineures dont la production était très vaste ont connu un immense succès auprès des lecteurs à la recherche d’émotions fortes et intéressés par l’actualité. 

En plus du caractère récent des événements et des marques d’accréditation attestant la véracité des faits, les auteurs des canards optent le plus souvent pour un discours moral confirmant la portée didactique du genre. D’ailleurs, on remarque, dans ce type de récits, l’intérêt accordé à la peinture des misères humaines, ainsi que l’abondance des scènes d’horreur et d’épouvante, accentuant le sentiment de peur et d’insécurité chez le lecteur. 

En tenant compte de la diversité des crimes évoqués dans ces occasionnels, on montrera qu’il s’agit d’une véritable crise qui bouleverse la famille française, mais aussi la société de l’époque. Comment se traduit cette crise sociale et familiale dans ces textes qui dénoncent particulièrement les conséquences des passions humaines et les abus d’une société dont les valeurs se sont dégradées ?

À travers l’étude de la représentation de la menace climatique dans la série télévisée contemporaine Game of Thrones (HBO – 2011-2019), adaptée du cycle romanesque A Song of Ice and Fire de l’écrivain américain George R. R. Martin, cette communication propose de comprendre comment et pourquoi la fantasy, genre de l’imaginaire et pilier de la culture populaire, qui place l’intrigue dans un univers secondaire fantastique, donne à voir la crise écologique du XXIe, sujet aussi réaliste que complexe. Il s’avérera que la gritty fantasy, telle que la conçoit George R. R. Martin, n’est pas dénuée de vraisemblance dont elle s’inspire et qu’elle exacerbe, proposant une réflexion sur le passé et sur les hantises du présent.

L’uchronie est un genre censé corriger, en fiction, les accidents de l’Histoire, en imaginant ce qui aurait pu se passer si les événements se seraient passés autrement. Nous nous proposons de mener une étude comparative entre deux uchronies : l’uchronie fondatrice du genre, Napoléon Apocryphe de Louis-Napoléon Geoffroy-Château, datant de 1841, et celle de Michel Pagel intitulée Orages en terre de France et publiée en 1991. Les deux ouvrages traitent des crises politiques, sociales, religieuses, et morales des siècles auxquels ils appartiennent, à savoir les XIXe et XXe siècles. L’uchronie fondatrice traite de la chute de Bonaparte et de la restauration monarchique. Celle de Michel Pagel traite du retour en force des idéologies religieuses et guerrières à la fin du XXe siècle. L’étude du genre de l’uchronie à travers ces deux exemples montrera les mutations qu’il a subies en un siècle sur le plan formel et narratologique, passant d’un traitement dit pessimiste (le monde représenté dans l’uchronie est meilleur que le monde réel) à un traitement dit optimiste (le monde réel est meilleur que le monde représenté dans l’uchronie), et tentera d’interpréter ces changements formels et leur impact sur le traitement des problématiques évoquées dans les œuvres. Malgré le fait que le monde décrit soit uchronique et différent du monde que nous connaissons, « on se sent finalement peu dépaysé par un contexte malheureusement propre à la grande majorité des conflits connus par l'humanité ». Il s’agira aussi de faire remarquer que le genre traitant des accidents de l’Histoire subit lui-même une crise de reconnaissance et de définition : Robert Charles Wilson déclare que : « l’uchronie est inscrite dans le paysage thématique de la science-fiction. Et, pour adopter un point de vue plus pragmatique, on en a hérité parce que personne d’autre n’en a voulu. On peut appeler ça un accident de l’histoire ».