AM3 - Crise et espace

Janvier 2021. Dans le quartier Hay Mohammadi à Casablanca, deux immeubles s’effondrent, emportés par de fortes pluies. Cet évènement tragique vient confirmer la lente dégradation du patrimoine bâti de ce quartier ouvrier, qui a accueilli depuis les années 1930 une main d’œuvre indispensable à la production industrielle de la ville et du pays. Bien que menaçant de s’effondrer, les logements alentours continuent d’être loués. Cette communication a pour objet de restituer une enquête ethnographique réalisée à l’automne 2021 dans ce quartier. Que signifie habiter Hay Mohammadi aujourd’hui ? Quels sont les différents profils d’habitants coexistant dans ce quartier dégradé ? Nous nous demanderons pourquoi le quartier de Hay Mohammadi continue d’accueillir de nouveaux habitants malgré le péril. Nous verrons enfin en quoi cette crise du logement contemporaine questionne la notion d’accessibilité des populations modestes à la ville, dans un quartier populaire en transition, situé entre délaissement et reconquête dans le cadre de l’internationalisation de la ville. 

A l’échelle mondiale, la pandémie due au Covid 19 a eu un impact sur le plan économique et social tout en accentuant les inégalités socio-spatiales. 

A travers cette communication, la focale sera placée sur la réalité des quartiers non réglementaires du Grand-Tunis à l’épreuve de la crise sanitaire, mais aussi la crise sociopolitique que la Tunisie connaît. Notre étude porte sur le quartier Sidi Amor à Raoued, zone caractérisée par des dynamiques urbaines très importantes et par la présence spectaculaire de l’habitat non réglementaire. 

Nous questionnons dès lors les retombées de ces crises (sanitaire, politique, sociale et économique) sur ces entités urbaines d’« émanation populaire » (Deboulet 1994). Nous postulons que ces dernières représentent des « territoires-ressources » où les habitants mobilisent plusieurs compétences et des « arts de faire » (De Certeau, 1990). Cette contribution a pour objectif d’analyser l’évolution de ces ressources dans ce contexte de crise tout en mettant la lumière sur l’évolution des rapports entre pouvoirs publics et habitants des quartiers non réglementaires.

L’évolution morphologique du bidonville de Djebel Lahmar est marquée au cours de l’époque contemporaine par une série de crises, partant du sanitaire (1867), passant par le juridique/technologique après l’avènement du protectorat français (1881), suivi par l’économique mondial (1930), puis celui de l’indépendance (1956), les incidents du « jeudi noir » (1978) et enfin la révolution du 14 Janvier 2011. Ces crises ont déclenché, sur le plan morphologique, un va et vient de gourbification/dégourbification qui a donné naissance à des tensions entre les habitants et l’Etat, dans une dialectique de clandestinité et de légitimité. Il a fallu attendre la crise du 26 Janvier 1978, pour que l’Etat décide la réhabilitation de ce bidonville. Par ailleurs, la révolution de 2011 semble vouloir réactiver la clandestinité qui caractérisait la formation de Djebel Lahmar. Une observation de terrain, réalisée en 2018, nous a fait découvrir un grand nombre d’extensions inachevées, greffées sur des bâtiments existants. Cela semble indiquer que le bidonville s’étend en hauteur (KAMOUN, 2018). De ce fait, une immersion anthropologique in situ appuyée sur des témoignages d’habitants est nécessaire pour vérifier cette hypothèse.