Responsable: >Dilek Sarmis

A66 - Perspectives épistémologiques : les recherches sur le religieux dans les études turques

Date : 2022-09-21 | 16:15:00-18:15:00

Évènement : Congrès INSANIYYAT

Programme détaillé : cliquer ci-contre
Catégorie :
A
Lieu :
ISAMM
Salle :
Amphi
Responsable : Dilek Sarmis
Modérateur·trice : Samim Akgönül
Discutant·e :
Les intervenant·e·s :
de Tapia Aude Aylin Université Albert Ludwig de Freiburg
Sarmis Dilek Université de Strasbourg
Bursa Millet Zeynep EHESS
De Tapia Stéphane Université de Strasbourg

Perspectives épistémologiques : les recherches sur le religieux dans les études turques 

Les études turques constituent en France un champ aréal et interdisciplinaire dont les spécificités tiennent à son histoire institutionnelle, ses objets, ses figures savantes et ses articulations disciplinaires. Ces dynamiques forgent des approches méthodologiques et des épistémologies spécifiques dans le traitement des phénomènes religieux de l'aire turque. La coexistence d'un islam sunnite majoritaire et de minorités confessionnelles, corrélée aux courants sécularistes de l'histoire de la République turque, produisent des effets particuliers quant à la manière dont les chercheurs travaillent, avec les outils des sciences sociales, sur le religieux. Anthropologues, historiens, politistes ou sociologues, les spécialistes du religieux dans le monde turc étudient hétérodoxies et altérités religieuses, soufisme, mysticismes, confréries et islam politique. Invitant à un décloisonnement méthodologique, de « nouveaux » objets permettent d’étudier les perméabilités entre espaces politiques, savants et institutionnels, et favorisent la réévaluation du paradigme laïciste et de la notion d’« islam turc ». 
A travers des communications consacrées à des figures savantes (Irène Mélikoff), des institutions (université de Strasbourg) et à des travaux sur les phénomènes républicains de résilience religieuse (synthèse turco-islamique ; ahlâk et din), l’atelier se propose de rendre compte de certaines des dynamiques à l’œuvre dans le champ de la turcologie en lien avec l’étude du religieux.

Epistemological Issues: Research on Religion in Turkish Studies 

Turkish studies constitute in France an areal and interdisciplinary field whose specificities are due to its institutional history, its objects, its scholarly figures and its disciplinary articulations. These dynamics build methodological approaches and specific epistemologies in the treatment of religious phenomena in the Turkish area. The coexistence of a majority Sunni Islam and confessional minorities, correlated with the secularist currents of the history of the Turkish Republic, produces particular effects as for the way in which the researchers work, with the tools of the social sciences, on religion. Anthropologists, historians, political scientists or sociologists, specialists in religion in the Turkish area focus on heterodoxies and religious alterities, Sufism, mysticisms, brotherhoods and political Islam. Inviting to a methodological decompartmentalization, “new” objects make it possible to study the permeabilities between political, scholarly and institutional spaces, and promote the reassessment of the secularist paradigm and the notion of “Turkish Islam”.
Through papers devoted to scholarly figures (Irène Mélikoff), institutions (University of Strasbourg) and works on the forms that reveal the permanence of religion during the republican era (Turkish-Islamic synthesis; ahlâk and din), the panel aims to make account of some of the dynamics at work in the field of Turkology in connection with the study of religion.

  • De Tapia Aylin, Université Albert Ludwig de Freiburg, (Allemagne), Irène Mélikoff. Parcours d’une turcologue sur les voies du mysticisme 
Le professeur Irène Mélikoff est souvent considérée comme la (re-)fondatrice du département d’études turques de l’Université de Strasbourg. Née en Russie en 1917, au sein d’une famille fortunée originaire de Bakou, elle quitte, à peine née, la Russie révolutionnaire pour grandir à Paris où elle étudiera plus tard le turc et le persan à l’École Nationale des Langues Orientales.
Suite à son élection en 1968 comme maître de conférences à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, puis l'année suivante comme professeure, elle fait du Département d'études turques un des lieux les plus prestigieux de la turcologie française. Ses travaux sur l’islam hétérodoxe, en particulier l’alévisme et le soufisme, lui ont aussi donné une place particulière dans les études turques, faisant du religieux un objet d’études central là où ses prédécesseurs et contemporains se concentraient plus spécifiquement sur les questions linguistiques et littéraires.
Les travaux et la personnalité d’Irène Mélikoff lui ont aussi donné une place de choix au sein de la communauté turque d’Alsace et en particulier la minorité alévie. Après sa mort en 2009, elle a continué à être une personnalité centrale pour les Alévis de France et de Turquie, qui, pour certains, la considère comme une sainte.
Dans cette présentation, on s’intéressera à l’œuvre d’Irène Mélikoff et à son rôle dans le développement des études islamiques au sein de la turcologie. Dans un second temps, il sera question de son positionnement comme chercheure engagée dans la vie de la communauté turque d’Alsace et comme figure de proue de l’alévisme en France mais aussi en Turquie.

  • Dilek Sarmis, Université de Strasbourg, (France), Adâb, din, ahlâk. Apports épistémologiques de l’étude des concepts du religieux dans les répertoires intellectuels et savants de la Turquie républicaine.

Cette communication situera mes travaux d’histoire textuelle sur les productions intellectuelles conservatrices de la période républicaine dans une réflexion plus large sur l’épistémologie du religieux dans les études turques. A partir d’un corpus de revues « conservatrices » parues entre les années 1930 et 1960, où la reformulation de concepts et d’outils empruntés aux corpus religieux permet d’élaborer des normes psycho-sociales républicaines, je montrerai selon quels procédés sémantiques et argumentatifs s’y constitue l’ahlâk comme concept transitionnel et alternatif de celui de din et d’adâb. Dans un second temps, je réfléchirai à la manière dont ces restructurations permettent de mesurer les porosités qui articulent répertoires religieux, formes cristallisées de savoirs sécularisés, et théories politiques républicaines. Fait peu étudié, ces écrits nourrissent un processus de réformisme musulman de longue durée, présent dès les débuts de l’histoire turque républicaine. 

  • Stéphane De Tapia, Université de Strasbourg, (France), Le département d’Études turques de l’Université de Strasbourg (1962-…) 
En France n’existent que deux entités d’enseignement et de recherche permettant l’étude de la langue et de la civilisation turques, de plein exercice (LMD ; Licence, Master, Doctorat), relevant de l’Université (Strasbourg) ou d’une institution spécifique : l’INALCO à Paris. La recherche proprement dite est mieux dotée avec des laboratoires de l’EHESS, de l’EPHE, ou du CNRS qui, travaillant entièrement ou partiellement sur la Turquie et le monde turc, sont installés à Paris, Aix-Marseille, Lyon… Fondé en 1962, le département de Strasbourg reprenait un acquis de l’Université allemande mis entre parenthèses de 1919 à 1962. Son premier directeur, le Pr. René Giraud (1962-1968), était un turcologue stricto sensu, spécialiste du turc médiéval et des stèles de l’Orkhon. Décédé prématurément, il a alors été remplacé par le Pr. Irène Mélikoff (1968-1990), assistée de Mme Périer de Hauterive / Erikan, qui aura été sans conteste l’un des noms les plus en vue du monde académique en raison de ses études sur l’islam hétérodoxe anatolien et au-delà : alévisme, bektachisme, mais aussi mevlévisme ou Ahl-e Hakk d’Iran. Le Pr. Paul Dumont (1990-2014), historien de l’Empire ottoman tardif et la République de Turquie, l’a ensuite remplacé avant Stéphane de Tapia (2014-2019) et actuellement Samim Akgönül (2019-…), tous deux contemporanéistes, géographe travaillant sur les migrations turques, et historien-politologue, spécialiste du fait minoritaire, mais pas seulement.
Sur l’ensemble de cette longue période (1961-2022), les travaux sur le religieux y ont trouvé des espaces de déploiement significatifs.

  • Zeynep Bursa-Millet, Université Nanterre-Paris, (France), La « synthèse turco-islamique », une idéologie officielle de la République de Turquie (1923-2021) ?
La « synthèse turco-islamique » remonte aux tentatives de réformes de l’Empire ottoman au XIXᵉ siècle, dans un débat sur la difficulté d’articuler « culture nationale » et « civilisation occidentale ».  La « synthèse » est pour la première fois formulée par Ziya Gökalp (1876-1924), sociologue promoteur du nationalisme turc. Gökalp est le premier à considérer cette « synthèse » comme une véritable doctrine politique, que le Foyer des intellectuels (Aydinlar Ocagi) s’est ensuite donné pour mission de restituer comme idéologie d’État dans les années 1980. 
La supériorité de la Turquie et sa mission protectrice de l’Islam constituent le coeur de cette doctrine, dans le prolongement de laquelle entend s’inscrire Tayyip Erdoğan et son parti politique, l’AKP. Loin d’être originale et cohérente, la « synthèse turco-islamique » est revendiquée de manière pragmatique par la droite turque et par le kémalisme à différentes occasions, offrant un passionnant cadre d’étude de l’exploitation des ressources religieuses par des politiques républicaines.  


  • De Tapia Aylin, Université Albert Ludwig de Freiburg, (Allemagne), Irène Mélikoff. Parcours d’une turcologue sur les voies du mysticisme 
Irene Melikoff. Journey of a Turkologist on the Paths of Mysticism 
Professor Irène Mélikoff is often considered as the (re-)founder of the Turkish Studies Department at the University of Strasbourg. Born in Russia in 1917, into a wealthy family from Baku, she left revolutionary Russia when she was born to grow up in Paris where she later studied Turkish and Persian at the National School of Oriental Languages.
Following her election in 1968 as a maîtresse de conférences at the Marc Bloch University in Strasbourg, then the following year as a professor, she made the Department of Turkish Studies one of the most prestigious places in French Turkology. Her work on heterodox Islam, especially Alevism and Sufism, also gave her a special place in Turkish studies, strengthening religion as a new central object of study when her predecessors and contemporaries focused more specifically on linguistic, literary and historical matters.
The works and the figure of Irène Mélikoff have also given her a place of choice for the Turkish community of Alsace and in particular the Alevi minority. After her death in 2009, she continued to be a central figure for Alevis in France and Turkey, who, for some, consider her a saint. 
In this presentation, we will focus on the work of Irène Mélikoff and her role in the development of Islamic studies within Turkology. Secondly, we will investigate her positioning as a researcher engaged in the life of the Turkish community of Alsace and as a figurehead of Alevism in France but also in Turkey.

  • Dilek Sarmis, Université de Strasbourg, (France), Adâb, din, ahlâk. Apports épistémologiques de l’étude des concepts du religieux dans les répertoires intellectuels et savants de la Turquie républicaine.

Adâb, din, ahlâk. Epistemological Contributions of the Study of Religious Concepts in the Intellectual and Scholarly Repertoires of Republican Turkey
This paper will situate my research on conservative intellectual productions of the Republican period within a broader reflection on the epistemology of religion in Turkish studies. I will present a corpus of "conservative" journals published between the 1930s and 1960s, where concepts and tools borrowed from classical religious corpuses are utilized to elaborate republican psychosocial norms; I will analyze the semantic and argumentative processes that make ahlâk a transitional and alternative concept to that of din and adâb. Secondly, my paper will elaborate on the porosities that articulate religious repertoires, crystallized forms of secularized knowledge, and republican political theories. A little-studied fact, these writings nurture a long-term process of Muslim reformism, present from the beginning of Turkish republican history.

  • Stéphane De Tapia, Université de Strasbourg, (France), Le département d’Études turques de l’Université de Strasbourg (1962-…) 

The Department of Turkish Studies of the University of Strasbourg (1962-…) 
In France, there are only two teaching and research entities allowing the study of the Turkish language and civilization in a full cycle (Bachelor’s, Master’s and doctoral degrees), coming under the University (Strasbourg) or of a specific institution: INALCO in Paris. Founded in 1962, the Strasbourg department took over an acquisition of the German University put on hold from 1919 to 1962. Its first director, Pr. René Giraud (1962-1968), was a turkologist, specialist in medieval Turkish and stelae from Orkhon. He was succeeded by Pr. Irène Mélikoff (1968-1990), a specialist in Anatolian heterodox Islam and beyond:  Alevism, Bektachism, but also Mevlevism or Ahl-e Hakk of Iran. Pr. Paul Dumont (1990-2014), historian of the late Ottoman Empire and the Republic of Turkey, then replaced her before Stéphane de Tapia (2014-2019), geographer working on Turkish migrations, and currently Samim Akgönül (2019-…), a historian and political scientist specializing in minority issues. Throughout this long period (1961-2022), work on religion has found significant spaces for deployment.

  • Zeynep Bursa-Millet, Université Nanterre-Paris, (France), La « synthèse turco-islamique », une idéologie officielle de la République de Turquie (1923-2021) ?
The “Turkish-Islamic synthesis”, an official ideology of the Republic of Turkey (1923-2021)?
The “Turkish-Islamic Synthesis” can be traced back to the attempts to reform the Ottoman Empire in the 19thᵉ century, in a debate about the difficulty of articulating “national culture” and “Western civilization”.  The “synthesis” was first formulated by Ziya Gökalp (1876-1924), a sociologist who promoted Turkish nationalism. Gökalp was the first to consider this “synthesis” as a real political doctrine, which the Intellectuals’ Hearth (Aydınlar Ocağı) later took on the task of restoring as a state ideology in the 1980s.
The idea of Turkey's superiority and its mission to protect Islam are at the heart of this doctrine, which Tayyip Erdoğan and his political party, the AKP, intend to follow. Far from being original and coherent, the “Turkish-Islamic synthesis” is pragmatically claimed by the Turkish right and Kemalism on different occasions and it provides an exciting framework for studying the exploitation of religious resources by republican policies.

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