AG59 - Bienfaisance, pratiques caritatives et transformations sociales en Égypte ( XIXe et XXe siècles)

L'histoire de la bienfaisance dans l'Égypte moderne a attiré l'attention de nombreux chercheurs au cours des dernières années. Cependant, la recherche s'est davantage concentrée sur les discours relatifs à la réforme sociale que sur les pratiques du bien. Nous savons peu de choses sur les trajectoires des philanthropes, les motivations de leurs engagements caritatifs ainsi que les multiples façons dont ils les ont mis en œuvre. Les associations de bienfaisance demeurent également peu scrutées. Ce panel vise à répondre à quelques questions interdépendantes : 

-Qui s’engage dans des pratiques caritatives ? Qu'est-ce que ces engagements révèlent des motivations intérieures (don de soi, par exemple) ainsi que des pratiques de distinction sociale et religieuse ? 

-Comment les pratiques caritatives participent-elles à la réduction de la pauvreté ou, au contraire, au renforcement des frontières sociales ? 

-Selon quelles modalités les initiatives philanthropiques se rapportent-elles à des acteurs ou des idées venus de l’étranger (comme les missions religieuses, les projets de développement et les organisations internationales) et aux politiques étatiques ?

-Comment les initiatives philanthropiques sont-elles vécues et négociées par les bénéficiaires de l'aide ? Eventuellement, quelles formes de résistance suscitent-elles ?

Ce panel prend la bienfaisance comme un observatoire à partir duquel analyser les transformations sociales et culturelles, la question plus large de la réforme et de la modernisation ainsi que la notion de sécularisation dans l’Egypte contemporaine. 

Responsables : Annalaura Turiano  IREMAM, France, ( à distance ), Gaétan Du Roy, Université Radboud, Nimègue/Université Saint-Louis, Bruxelles

Discutant : Gervasio Gennaro, University of Roma Tre, Italy

Les éboueurs du quartier du Muqattam au Caire, furent l’objet d’une attention constante depuis les années 1980. Cette communauté chrétienne connut une célébrité croissante tandis que des acteurs divers entraient en contact avec eux : les organisations internationales, les spécialistes du développement urbain, des missionnaires et des prêtres coptes. Les zabbalin commencèrent dès lors à jouer un rôle important dans la mise en relation de ces différents milieux qui souhaitaient aider cette population déshéritée. Cette communication montrera comment le développement, la mission et la charité se rencontrèrent en cet espace urbain éminemment symbolique. La présentation insistera sur la formation de la paroisse comme un site privilégié de connexion de ces différents acteurs et influences.

Cette présentation retrace le développement des réseaux caritatifs transnationaux et interconfessionnels qui ont façonné le paysage social de l’Égypte moderne de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Les associations caritatives en Égypte, ou jam'iyyat, ont servi d'espaces essentiels de collaboration interconfessionnelle à une époque où la montée des conflits sectaires dans l’espace politique menaçait de saper la construction de la nation égyptienne.  J’estime que les associations caritatives ont servi de médiatrices dans ces tensions sectaires et ont également été un site clé d'expérimentation politique pour les élites laïques au-delà des clivages religieux afin de façonner les valeurs civiques. Les élites égyptiennes ont créé des centaines d’associations pour répondre à des demandes de santé, d’alimentation, de logement et d'éducation qui ne pouvaient pas être satisfaites par le système bureaucratique égyptien, accablé par les mesures d'austérité sous la gestion coloniale européenne. Au cours de cette période (1879-1939), la charité a été le pivot de la formalisation des réseaux d’aide et a donné aux notables la possibilité de façonner, de modeler et d'inculquer un comportement approprié, un ordre social et une citoyenneté performative.

Les coptes ont lutté durant des décennies pour obtenir une loi clairement définie régissant la construction de paroisses officielles. Ils furent en effet obligés de suivre un processus bien défini pour parvenir à construire de nouvelles paroisses. De nombreux travaux universitaires, mais aussi des rapports d’associations de défenses des droits humaines, ont dénoncé l’arbitraire de ces procédures officielles, et surtout le fait qu’elles n’offraient pas aux coptes un droit équitable à décider où ils souhaitaient prier et pratiquer leurs rituels religieux et leurs traditions. Cette présentation soulignera à quel point l’approche victimaire est insuffisante car elle décrit les coptes comme exclusivement passifs et présentera d’autres voies vers la construction d’espaces chrétiens en Egypte. Pour ce faire, l’exposé donnera à voir la riche histoire des associations charitables et éducatives coptes et leur rôle significatif dans le développement de paroisses officielles au-delà de la question des autorisations étatiques et de la politique ecclésiastique.  

L’argument central de cette contribution est que le  Croissant-Rouge égyptien est un très bon exemple pour montrer les multiples dimensions des activités philanthropiques et humanitaires en Égypte au vingtième siècle. Ainsi que d’autres organisations, le Croissant-Rouge s’appuyait sur d’anciens discours et pratiques caritatifs, mais se considérait aussi comme un acteur politique central dans les structures qui se transformaient de régime colonial en régime postcolonial. La contribution analysera différents conflits nationaux et internationaux afin de démontrer les possibilités et limites de cette organisation.