AG42 - Re-thinking society, preparing the revolution. Radical political thought and practices in ‘liberal Egypt’ (1919-1952)

Le soulèvement national de 1919 a donné lieu à une phase très intense de mobilisation politique en Égypte, qui a eu cours sur trois décennies et a constitué un terrain fertile pour toutes les grandes tendances politiques de l'Égypte contemporaine.
En effet, malgré le grand consensus populaire autour du Wafd dans la première moitié des années 1920, la persistance de la «question nationale » a poussé anciens et nouveaux mouvements politiques à remettre en cause le système libéral et son élitisme, ses formes de légalisme et de politique parlementaire, en mettant en avant leur intention de transformer et de remplacer les principes fondamentaux de la société et du système colonial (Jensen & Weiss 2016).
De nouvelles formes de mobilisation ont été encouragées par le changement social et économique, le développement de la presse et de la radio, l'accès croissant des femmes de la classe moyenne à l'enseignement supérieur, l'urbanisation, et la prise de conscience des inégalités croissantes. Ces facteurs se sont, en sus, associées à l'impact de la dépression et à l’augmentation croissante du prolétariat industriel, en particulier à la fin des années 1930 et 1940 (Reynolds, 2012).
Les années 1930 et le début des années 1940 ont été témoins de la croissance du mouvement ouvrier, de l'entrée en politique des Frères musulmans, d'un mouvement étudiant dynamique et de la montée du communisme au sein de l'intelligentsia urbaine.

Ces éléments ont été les avant-coureurs de la vague de grèves qui a éclaté en Égypte après la fin de la Seconde Guerre mondiale et a finalement conduit à la « révolution des officiers libres» en 1952 (Beinin, 1998).
Les articles de ce panel examinent les expériences de « (ré) -articulations contre-hégémoniques » de l'activisme politique, de nouvelles formes de mobilisation et d'élaborations idéologiques, investissant de multiples domaines du spectre politique - du marxisme au féminisme en passant par l'islam politique -  qui, de différents points de vue,  envisageaient tous une transformation sociale et politique, et exposaient, sous des perspectives différentes, la faiblesse de l'État égyptien dans sa configuration «libérale» ainsi que l'héritage colonial sur lequel il était construit.

Responsable : Gennaro Gervasio, Università degli Studi Roma, Italy

Discutant : Annalaura Turiano, École Française de Rome, Italy

S'il est vrai que les principales revendications de la Révolution de 1919 ont été principalement nationalistes et que, après 1922, le Wafd et d'autres mouvements et partis libéraux insistaient sur la question nationale à travers des approches variées, le soulèvement national a également impulsé l'élaboration d'une pensée et de pratiques politiques révolutionnaires plus radicales. En particulier, la nécessité d'insérer les questions sociales plus largement dans la « question nationale »  a été envisagée par les intellectuels et les militants de la gauche qui était en train de se structurer. Cette tendance des « radicaux de la Méditerranée orientale » (Khuri-Makdisi 2013) comptait  les écrivains Shawām en exil, les travailleurs européens de gauche dans les grandes villes et les « proto-socialistes » égyptiens comme Salama Moussa. Le libanais Niqula Haddad (1878-1954)  a aussi joué un rôle essentiel en fournissant les premières bases théoriques d'une pensée marxiste arabe. Cette communication a pour objectif de présenter la contribution de Niqula Haddad à la construction d'un « discours contre-hégémonique ». Ce discours contestait énergiquement, dans une perspective marxiste, le monopole supposé de l'approche wafdist-libérale ainsi que les tendances fascistes, islamistes et ultra-nationalistes qui émergeaient au cours des années 1930 et 1940.
Je me  focaliserai en particulier  sur l'ouvrage al-Ishtirākiyya (1920), sans doute la première publication théorique marxiste originale en arabe (Ismael & El-Said, 1990), ainsi que sur l'activisme de Haddad dans la presse progressiste - et notamment sa contribution au magazine al-Sayyidāt wa'l-Rijāl, qu'il coéditait avec sa femme Rose Antun.

Mon intervention vise à analyser la contribution de Sayyid Quṭb (1906-1966) au débat idéologique et politique en Égypte, au début des années 1950. L’analyse se concentrera sur son essai Al-‘adāla al-ijtimā’yyia fī’l Islām (1949), et son énorme résonance même parmi les intellectuels non liés aux Frères musulmans (Shepard, 1996; Mitchell 1969). Dans son premier essai, Qutb associe la très forte dénonciation des inégalités économiques et sociales en Égypte à la fin de l'ère libérale, à la vision islamique d'une rédemption accessible seulement à partir de l'application des principes de la sharī'a, et à travers un jihād qui visait - dans sa perspective analytique - à atteindre trois objectifs importants: une absolue liberté de conscience, une pleine égalité des hommes et une forte solidarité sociale. Bien que Qutb soit beaucoup mieux connu pour les œuvres écrites après sa conversion aux Frères musulmans et pendant son emprisonnement dans la prison de Tura – comme son Ma'ālim fī'l-ṭarīq (1964) et son commentaire coranique Fi Zilāl al-Qur’ân (1952, 1er vol.) – la précédente élaboration analytique sur les questions sociales est permet de mieux comprendre son point de vue social et politique. L'ouvrage sur lequel se concentrera l’analyse est certainement emblématique et peut être considéré, dans cette perspective, comme la vraie liaison entre les deux phases de la vie de l'auteur, «l'avant» et «l’après». Notre hypothèse de recherche est que l'élaboration de Sayyid Qutb dans son Al-‘adāla al-ijtimā’yyia fi’l Islām peut être considérée comme un exemple de pensée révolutionnaire, visant à repenser la société égyptienne dans le but de renverser le pouvoir établi (Carrè, 1984; Khatab 2006), c'est-à-dire un exemple de ces «articulations contre-hégémoniques» à l'intérieur du riche débat politique de cette période en Égypte, à la veille de la Révolution des Officiers Libres (Kepel, 1984; Fawwaz, 2018).

La campagne pour la Palestine (1936-1939) a servi à renforcer et accélérer l'engagement politique des Frères musulmans qui avait déjà commencé pendant la première moitié des années 1930. À la fin de la décennie, la jamā’a avait considérablement élargi sa capacité organisationnelle et se concentrait plus activement sur le mouvement étudiant et les organisations de la jeunesse telles que les scouts paramilitaires (Lia, 1998; Mitchell, 1969; Abdallah, 1985). 

Cependant, dans un pays en ébullition politique à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la politisation du mouvement a aussi donné lui à la montée de pressions internes pour une action révolutionnaire plus affirmée, qu'al-Banna a tenté de contenir avec sa célèbre approche gradualiste: [Les frères] «expriment toujours leur désir d'entrer sur le champ de bataille! Non, mes chers frères ! Affrontez-vous d’abord » (al-Nadhir, n ° 23-1939).

Pourtant, les dirigeants des Frères musulmans ne pouvaient pas ignorer la pression d'en bas si la jamā’a voulait conserver sa position de prédilection parmi le mouvement de la jeunesse, en particulier face à la concurrence accrue d'autres organisations politiques. 

La communication s’intéresse à la construction des organisations de jeunesse des Frères musulmans, leur credo officiel, les relations entre les jeunes des Frères musulmans et d'autres organisations de jeunesse contemporaines ainsi qu’au débat interne sur les tactiques et l'action politiques. L’analyse s’appuie sur les écrits d’al-Banna et d’autres publications des Frères musulmans de l’époque.

Les villes égyptiennes ont représenté une terre d'adoption pour de nombreux rebelles, anarchistes et activistes italiens, d'où ils ont promu les droits civils et sociaux par leurs idées et leurs luttes "radicales" (Khuri-Makdisi 2010). A cet égard, le rôle de la presse étrangère a été fondamental en Egypte. Même si l'idée - et plus tard le mythe - du cosmopolitisme urbain égyptien s'est répandu parmi les Européens jusqu'à une époque récente, la cohabitation entre les communautés et au sein d'une même communauté, suivie très souvent du fossé entre la bourgeoisie et le prolétariat - encore peu explorée - dans les sociétés multiculturelles de l'époque, comme le montrent également certains magazines italiens publiés en Egypte de la fin du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle. Le lien entre le cosmopolitisme italien, la main d'œuvre et l'émigration sera étudié afin de mieux comprendre la manière complexe dont chacun de ces éléments a été traité. mieux comprendre la manière complexe dont chaque communauté "nationale" se représentait elle-même, la société subalterne environnante et les groupes sociaux. la société subalterne et les groupes sociaux environnants, ainsi que les interrelations même contradictoires avec le le colonialisme de l'Afrique du Nord