A41 - Formes de dissidence dans le champ littéraire arabophone : écritures, postures, éditions

A41 - Formes de dissidence dans le champ littéraire arabophone : écritures, postures, éditions FR

Dans la majorité des travaux académiques portant sur la dissidence dans le champ littéraire arabe, cet élément est appréhendé tantôt en lien direct avec la politique, tantôt en lien avec les tabous qui ont marqué l’espace social arabe depuis la nahḍah (religion, sexe, etc.). À travers une approche « au prisme du culturel » (Jacquemond 2015; Mehrez 2008) et par l’analyse des pratiques d’écriture et d’édition des textes littéraires, mais aussi des postures d’auteurs, cet atelier vise à renouveler notre regard sur la question. Or, aussi utile que soit la démarche postcoloniale à cet effet (Ducournau 2017), il s’agira de dépasser l’approche qui nous amène à voir dans ces productions des simples formes d’opposition aux espaces dominants du Global North (Brahimi, Leperlier, Sapiro 2018). Nous nous pencherons d’abord sur les textes de l’écrivain Rachid Boudjedra, à la lumière des débats internes au champ littéraire algérien. Nous nous intéresserons ensuite aux polémiques du champ culturel marocain de la fin de l’ère coloniale et à la nécessité, pour ses écrivains, de se positionner vis-à-vis du Mashreq. Nous nous interrogerons encore sur la possibilité de détecter des formes de dissidence dans ce que Jérôme Meizoz appelle les « postures » d’auteurs, dans le cas de la littérature irakienne contemporaine. Enfin, nous mènerons une réflexion sur l’émergence de nouveaux pôles d’édition arabes en Occident, en prenant l’exemple de Dār al-mutawassiṭ.

Responsable: Annamaria Bianco, Aix-Marseille Université - IREMAM, France / Université de Naples “L’Orientale” - DAAM, Italie

Discutante : Dina Heshmat, American University of Cairo

À l’image du martyr de la guerre d’indépendance, Rachid Boudjedra oppose dans son œuvre celle des oubliés de l’Histoire : marginaux, ratés, fous ou pleutres, ses protagonistes n’ont rien des héros attendus dans les récits algériens post-1954. Alors que le pays est en crise et tâche de redéterminer les contours d’une communauté nationale, ces déclassés se trouvent au carrefour de multiples enjeux : de classe, de race et de genre. Mais sans cesse, ils échappent aux catégories qu’on croit pouvoir leur assigner. Boudjedra se réinscrit dans un débat du champ littéraire algérien sur ce que la littérature doit – ou non – à la résistance. Critique face à la récupération de l’histoire par la littérature, il tourne en dérision les mythologies des ancêtres et combattants de la guerre d’indépendance, en conservant une position farouchement anticoloniale. À travers l’étude d’œuvres publiées depuis les débuts de la guerre civile jusqu’à nos jours, je retracerai l’évolution de la place des martyrs chez Boudjedra.

Les débats littéraires des trente dernières années du protectorat franco-espagnol au Maroc placent le rapport au Mashreq au centre de la discussion. Dans les années 1930, la presse arabophone autorisée par l’occupant témoigne d’une intense réflexion sur les capacités de résistance culturelle du Maroc. Parmi les poètes et les critiques s’opposent deux courants, l’un traditionaliste et attaché aux formes légitimes, l’autre romantique, inspiré par le Mahjar ou l’Égyptien Ahmed Chawqi. De nombreuses polémiques questionnent la position du Maroc dans la culture arabe, entre particularisme et marginalité. Les voyages d’études au Caire, à Beyrouth ou à Damas enrichissent les débats d’expériences et de liens nouveaux. Le modèle du Mashreq sert d’instrument de lutte contre l’influence culturelle européenne et de figure d’une modernité alternative, opposable aux institutions pré-coloniales. Nous dégagerons la portée et les enjeux de cette double rupture mashriqine, et les réserves qu’elle suscita.

Depuis quelques décennies, les stratégies de singularisation des acteurs du champ littéraire sont devenues un objet d’étude à part entière dans le domaine de la sociologie de la littérature. En s’appuyant sur les cas de plusieurs écrivains français, Alain Viala et Jérôme Meizoz ont montré que leurs « prises de positions » ne sont pas exclusivement liées à leur « position » ou à la quantité de « capital culturel » détenu (Bourdieu 1992). Elles sont également liées à leur « posture », c’est-à-dire, à cet élément complexe qui se manifeste simultanément dans leurs « conduites littéraires publiques » et dans leurs « ethos discursif » (Meizoz 2007 : 23). Cette communication vise donc à aborder la question de la dissidence à travers les cas emblématiques de deux écrivains irakiens, Ali Bader et Hassan Blasim, et de leur postures. Nous visons ainsi à identifier les formes de dissidences qui se cachent derrière leurs stratégies d’auteur et qui portent aussi bien sur des clivages internes au champ irakien que sur les rapports de force inégaux présents aujourd’hui dans le champ international. De cette manière, nous espérons montrer l’intérêt heuristique de la notion de posture à l’égard des littératures arabes contemporaines ainsi que son applicabilité en dehors du contexte européen.

Dès 1948, une chaîne ininterrompue d’événements bouleversants s’est abattue sur le monde arabe, provoquant une diaspora sans précédent. Un champ littéraire arabe transnational a vu le jour. L’exil est devenu un lieu privilégié de contestation des politiques et des sociétés, ainsi que du canon littéraire. Des changements importants sont à leur tour intervenus dans les conditions matérielles de production des œuvres, affectant le mode de fonctionnement du monde des lettres arabes et de ses institutions, dont notamment les maisons d’édition. Dans cette intervention, nous montrerons comment les 20 dernières années ont vu l’émergence de plusieurs pôles d’édition arabes en Occident (Leonhardt-Santini 2006), mais aussi quels sont les enjeux de ce phénomène. Pour ce faire, nous présenterons l’étude de cas de Dār al-mutawassiṭ, fondée en 2015 à Milan par Khaled Al Nassiry et qui s’est imposée comme une présence dominante sur le marché arabe, en altérant les rapports de force précédents (Majdalani, Mermier 2016).